L’Economiste Maghrébin (Tunisie) via webmanagercenter.com, 9/8/7
Par Hichem Ben Yaïche
Une chose est sûre : avec Nicolas Sarkozy président, la France est entrée dans une ère politique inédite dont les effets marqueront durablement le paysage institutionnel et politique. Le paradoxe, dans cette histoire, est que, en matière d’action, rien de véritablement concret n’a été mené et traduit dans les actes.
Le vrai changement est certainement l’entrée en scène d’une nouvelle et jeune génération d’hommes politiques, lesquels se voient ainsi, en partie, investis de responsabilités ministérielles. D’autres œuvrent dans les arcanes des cabinets ministériels et autres lieux de pouvoir.
Incontestablement, la physionomie politique est en train de se transformer, après des années de blocage générationnel. Des idées nouvelles sont en circulation sur tous les sujets. Politique intérieure et politique étrangère –même si elles font partie d’un socle commun– sont en train de vivre une sorte de «révolution culturelle».
Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur des faits précis de l’ère Sarkozy, mais le nouveau chef de l’Etat entend agir en hyperprésident : maître de la communication, son verbe dessine une France –encore virtuelle– qui interpelle, séduit, fascine parfois. Son style nouveau, en rupture avec les anciennes pratiques présidentielles, introduit une touche nouvelle, dont lui seul a la paternité. Mais c’est surtout sa méthode qui bouscule l’ordre établi et modifie les repères : faire bouger constamment les lignes. C’est peut-être la clé de voûte du sarkozysme en émergence comme nouvelle doctrine politique.
A l’Elysée, la cellule diplomatique qui «travaille» sur le contenu de l’UM n’en est qu’au stade de l’étude préliminaire –consultations, rencontres, exploration de pistes, etc. Les hommes clés de ce dispositif sont Jean-David Levitte, conseiller diplomatique du président -un grand superviseur qui chapeaute l’équipe–, Henri Guaino, «plume» du chef de l’Etat, et son inspirateur sur cette orientation présidentielle –de par ses origines espagnoles, il est personnellement sensible à cette question–, Boris Boillon, jeune diplomate et conseiller technique sur les questions arabes. Sur l’UM, Philippe Seguin, en ombre chinoise, est chargé de la rédaction d’un rapport sur le sujet. Les visiteurs de l’Elysée sont nombreux pour donner leur point de vue : diplomates, experts, universitaires, chefs d’entreprise, etc.
Parallèlement à cette mission, le ministère des Affaires étrangères français vient de se doter d’une task-force composée de plusieurs personnalités pour alimenter la cellule présidentielle en idées, études, propositions. Le réseau diplomatique implanté dans la région méditerranéenne est mobilisé à cet égard.
Dans cette phase exploratoire, un certain nombre de thèmes sont d’ores et déjà retenus : immigration, eau, énergie, éducation, santé, etc. Selon des interlocuteurs de premier plan impliqués dans ce dossier, la France souhaiterait, sous sa présidence de l’Union européenne (deuxième semestre de 2008), lancer des initiatives majeures sur l’UM, nouvel axe stratégique de la diplomatie française.
Dans sa volonté de faire bouger les lignes, Nicolas Sarkozy a-t-il présumé de ses forces? Que peut faire la France seule ? Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps de consulter les autres partenaires européens les plus volontaristes sur cette problématique (Espagne et Italie notamment) ? De quelle manière la Commission européenne (CE), en charge de la gestion du processus EuroMed à l’intérieur de la Politique européenne de voisinage (PEV), va-t-elle être associée à ce projet ?
Les interrogations sont nombreuses et les incertitudes aussi ! Le moins qu’on puisse dire, malgré les assurances et les explications après-coup du président français, les autres pays européens sont furieux et mécontents de la manière de faire de Nicolas Sarkozy. Malgré cette maladresse, Romano Prodi et José Luis Zapatero restent des alliés pour faire avancer ce projet.
D’un autre côté, les responsables et les hauts fonctionnaires de la CE, pris de court et non consultés, sont encore plus en colère. Ils sont sceptiques sur les chances de survie de cette initiative. Ils considèrent que l’UM n’a pas de contenu réel à offrir par rapport à l’EuroMed (1). Ils considèrent qu’il y a là une vraie occasion pour relancer le «processus de Barcelone», car l’acquis, en termes d’expertise et de réalisation de projets, demeure considérables, même s’il faut, selon eux, corriger le tir et améliorer ce qui existe aujourd’hui.
S’il est vrai que Nicolas Sarkozy a produit un réel électrochoc sur l’Euro-Méditerranée, cela ne doit pas empêcher de dire que son improvisation et l’absence de maturité de l’Union méditerranéenne risquent de décevoir et, surtout, de multiplier des obstacles de toutes sortes.
Reste cette chance unique, qui ne se renouvellera pas de sitôt, pour les pays du Sud. Tirer les enseignements du processus EuroMed, préempter le contenu des thématiques qui constitueront l’épine dorsale de l’UM pour que leurs points de vue soient au cœur de ce projet, au lieu de le subir. Il est encore temps, particulièrement pour les pays du Maghreb, de se concerter, et d’aller dans un front commun, à la seule condition d’avoir mené un travail d’audit en interne dans chacun de ces pays. C’est le moment de dépasser les rivalités, et d’ouvrir une nouvelle ère entre les pays maghrébins et entre l’Europe et la Méditerranée. Est-ce un vœu pieux ?…
—————-
(1) une délégation de la CE était à Paris –dans la première quinzaine du mois de juin–, pour une rencontre avec les diplomates du Quai d’Orsay, en quête de précisions sur l’UM.