Jeune Africain : Plus de six mois après son lancement spectaculaire à Londres, Où en est le front commun que vous avez créé avec Ben Bella ?
Hocine Ait Ahmed : Notre alliance- car il s’agit bien de cela- se porte fort bien. Cela se passe mieux que je ne l’espérais moi-même. Les réactions ont été excellentes. Nombre d’Algériens m’ont dit avoir vibré à cet « appel de Londres » qui leur rappelait celui du 1er Novembre 1954.
Notre « SOS dictature » a été entendu, je crois, un peu partout dans le pays car notre travail d’explication a été et demeure intense : diffusion d’une cassette vidéo reproduisant la conférence de Londres et, surtout, volonté de mener et de gagner cette bataille décisive qui est celle de l’information.
Il faut arracher les Algériens à leur passivité, les responsabiliser. Aussi avons-nous prévu pour bientôt la publication d’un journal qui s’appellera Libre Algérie.
Pour le reste, nous avons toujours dit et répété que Ben Bella et moi-même n’étions pas une solution de rechange ; nous mettons en fait nos possibilités et une certaines notoriété au service de la démocratisation de la société algérienne. C’est aux Algériens de s’assumer, de s’autonomiser, d’imposer leur droit d’avoir des droits, nous sommes là pour les encourager.
Il faut convaincre pour vaincre. Telle est notre tâche.
J.A : Aucune personnalité d’envergure n’est pourtant venue vous joindre depuis Londres. Vous êtes toujours à deux…
HAA : C’est vrai, nous n’avons pas enregistré de ralliement spectaculaire et peut-être est-ce là une ombre au tableau. Mais les choses évoluent ; notre mot d’ordre-élection libre d’une assemblée constituante fondée sur le pluralisme- gagne chaque jour du terrain. Une opinion en notre faveur est en train de naître et c’est cela que redoute le pouvoir. Cela dit, en privé, la plupart des personnalités qui ont joué un rôle dans le FLN et l’ALN se sont dites agréablement surprises par notre initiative.
JA : Il existe, entre vous et Ben Bella, un passé conflictuel qui vous opposa parfois vivement. Alors qui a changé : vous ou lui ?
HAA : Tout le monde change. Seules les brutes épaisses pensent qu’elles ne changent pas et que tout ce qu’elles ignorent, comme les lois d’évolution biologiques ou politiques, n’existent pas.
Evolue-t-on vers le bien ou vers le mal ? C’est aux autres d’y répondre…
JA : Vous avez été emprisonné par Ben Bella, il y a plus de vingt ans. Tout cela est oublié ?
HAA : On ne doit jamais oublier, bien sûr. Mais un homme politique n’a pas le droit d’être crucifié par le passé et son analyse ne peut être guidée par les émotions.
JA : Y a-t-il encore des divergences entre vous ?
HAA : Je crois que la sagesse l’a emporté. Ahmed Ben Bella joue véritablement le jeu de l’alliance ; d’excellentes mesures de réorganisation sont intervenues au sein de son mouvement. Et puis notre alliance est un compromis, pas une compromission.
Un compromis qui rejoint les principes pour lesquels je me suis toujours battu.
JA : Votre projet de journal coûte cher. Qui apporte le financement nécessaire ?
HAA : Nous avons d’importantes difficultés financières, qui d’ailleurs expliquent le retard dans la présentation du numéro zéro. Libre Algérie sera un journal de combat et d’information, réalisé et diffusé par des militants bénévoles. Nous tenons absolument à notre indépendance et les moyens seront trouvés en notre sein, pas à l’extérieur. Comme son nom l’indique, Libre Algérie n’aura donc pas de fil à la patte et s’inscrira dans la noble tradition du Moudjahid à sa naissance –avant qu’il ne devienne un instrument de propagande.
JA : Quel est votre but : rendre transparent le pouvoir en place à Alger ?
HAA : Ce serait impossible. Par nature, ce pouvoir est opaque. Les Algériens ignorent tout de ce qui s’y passe tout comme, à l’époque coloniale, personne ne savait ce qui se tramait au sein du gouvernement général. C’est un système clos. Et les systèmes clos, s’ils permettent de régenter les chauves-souris, sont incompatibles avec la dignité de citoyen. Les clans, la loi du silence, la rigueur de la Camorra : tout cela définit une organisation sociale pré-étatique, mais en aucun cas un Etat moderne digne de ce nom. Ce n’est pas un journal, mais des institutions démocratiques qui peuvent pour assurer la transparence. Et notre journal se battra pour que ces institutions existent enfin.
JA : Depuis quand n’avez-vous pas revu l’Algérie ?
HAA : Depuis mon évasion, le 1er mai 1966, il y a vingt ans.
JA : Deux décennies en dehors du pays : cela crée inévitablement, un décalage entre vous et la réalité telle qu’elle se vit là-bas…
HAA : Votre remarque est trop simple. Pendant la lutte de libération déjà, en 1956, dans une étude portant sur la nécessité de former un gouvernement en exil que j’avais pu faire sortir de la prison de la Santé ou j’étais détenu, j’avais dit aux militants de ne pas être obnubilés par cette opposition schématique entre intérieur et extérieur.
Vous savez, quand on vit aujourd’hui, comme hier, en Algérie il n’est pas sûr que l’on soit au fait de la réalité. Ce pays est tellement cloisonné, tellement lessivé par la désinformation quotidienne que seules des bribes de réalité vous sont accessibles. Et puis, j’ai mes propres canaux d’information et ils sont efficaces.
JA : Est-ce que pour la nouvelle génération d’Algériens, ceux qui ont vingt ans aujourd’hui, le nom d’Ait Ahmed signifie quelque chose ?
HAA : Le nom des « historiques » n’est pas oublié, je crois en dépit des efforts du pouvoir. Cette jeune génération justement est celle qui a le plus soif de retrouver son identité. Malgré le fait que notre nom soit effacé des livres, malgré le fait qu’à l’instar des dynasties mongoles d’autrefois, les maîtres d’Alger s’acharnent à faire table rase de l’histoire et à frapper d’amnésie leurs millions de sujets.
JA : Si une certaine grogne diffuse semble exister en Algérie au sein de la population, comme dans bien d’autres pays, on a l’impression que l’opposition n’a que fort peu de prise sur elle et que le pouvoir, finalement, est bien assis…
HAA : J’ai un reproche fondamental à faire aux autorités qui dirigent ce pays depuis plus de vingt ans. Celui d’avoir dépolitisé, démotivé en profondeur les Algériens, d’avoir détruit leur esprit civique par une répression permanente. Dés qu’une simple association, comme la Ligue algérienne des droits de l’homme ou le groupe des fils martyrs se crée, la violence répressive est discriminée, totalement disproportionnée. Il y a eu une régression extraordinaire ; de ce point de vue, nous sommes revenus à la situation d’avant 1936.
Bien évidemment nous, opposition, nous en souffrons, il faut remonter la pente et ne pas prendre ses désirs pour des réalités, considérer la société telle qu’elle est. Cela dit, cette grogne comme vous dites est travaillée en profondeur par des courants invisibles à l’œil nu. Pour l’instant…
JA : Le pouvoir est donc fort, aussi, de vos faiblesses ?
HAA : Sans doute. On occupe les Algériens du matin au soir avec les problèmes de pénuries et de ravitaillement. C’est la politique du couffin quotidien, de la grande débrouille, de la carotte et du bâillon. La seule mobilisation tolérée, c’est celle-là, celle de la vie. Et puis la bureaucratie a enserré et étouffé la société dans ses innombrables tentacules. Le Léviathan, ou plutôt, le Thalafsa, ce dragon à sept ventres de l’imaginaire berbère, s’est assoupi sur le bonheur du peuple…
Mon pays souffre d’une étrange maladie : l’algériasclérose. Ses symptômes ne trompent pas –mal d’être, mal de vivre, tristesse, frustration et soumission, perte des valeurs de solidarité et de courage.
Les rapports sociaux, même au niveau familial, sont entachés d’égoïsme. L’application généralisée des principes pavloviens, les queues, le système D ont laissé des traces. C’est chacun pour soi, chacun son tour. L’algéraisclérose, c’est le manque d’oxygène dans le corps politique, le flux sanguin bloqué par les féodalités claniques, le surdéveloppement de la machine bureaucratiques, la quête pathologique d’identité due à l’amputation d’un poumon – la culture berbère-, l’autre poumon, la culture arabe, étant rabougri parce que privé d’échanges vitaux avec la science et la pédagogie. C’est le vieillissement d’une société dont la population est l’une des plus jeunes du monde et à qui pour tout remède, on offre les béquilles du parti unique.
Nietzsche disait : « Docteur, commence par te soigner toi-même » Pour guérir le peuple algérien, il faut donc commencer par lui rendre sa souveraineté, c’est-à-dire l’exercice quotidien de sa liberté.
JA : L’émigration algérienne en Europe vus parait-elle réceptive à vos appels ?
HAA : Absolument. Parce qu’elle est inquiète et que personne à Alger ne répond à ses inquiétudes.
JA : Il existe pourtant une Amicale, qui semble active, notamment dans le domaine de la lutte contre le racisme, de la défense des droits, etc.
HAA : Mais elle n’a aucune prise sur la population émigrée. C’est une force d’encadrement et de contrôle qui dispose de beaucoup de moyens, qui parfois donne l’impression d’être active mais qui retombe bien vite dans l’engourdissement bureaucratique. Et puis n’oubliez pas que l’émigration vit, en Europe, dans un environnement démocratique qui renforce à la fois ses frustrations et sa politisation. Le racisme est le moindre des soucis de l’Amicale. Son souci majeur est le mouvement démocratique. Elle est là pour harceler les autorités françaises afin qu’elles empêchent les Algériens et les Algériennes de s’exprimer et de s’associer librement. Elle va jusqu’à susciter des incidents graves comme l’année passée à la Mutualité, afin de fournir au gouvernement français le motif d’ordre public qui lui permet de déroger à la Constitution en interdisant des manifestations démocratiques.
JA : Mais les émigrés eux-mêmes ont des problèmes, comme le logement par exemple, peut-être plus urgents à résoudre que d’autres.
HAA : Justement les émigrés n’ont que plus besoin d’un pays, leur pays, qui les accueille au lieu de les rejeter. Il existe aussi, en Algérie, une forme de racisme anti-émigré. Cette politique n’est pas officielle, mais elle est encouragée. Souvenez-vous ; lorsqu’en 1981 il fut question, en France, d’accorder aux étrangers la liberté d’association, les autorités algériennes firent connaitre leur mécontentement. Pas question à leurs yeux de voir leurs ressortissants jouir ailleurs de libertés dont ils ne disposent pas chez eux ! Pour la classe dirigeante, l’émigration est un vecteur d’idées « polluantes » dont il faut à tout prix se préserver : démocratie, pluralisme, presse ouverte, etc.
L’émigration fait peur car on sait fort bien, à Alger, qu’elle a toujours joué un rôle d’avant-garde dans notre histoire.
Que fait le gouvernement algérien, que font les gouvernements « islamiques » pour faire échouer les projets de visa unilatéral que s’apprêtent à appliquer les Européens à leurs ressortissants ? C’est grave, cette espèce de croissant vert qui se profile à l’horizon ! Il faut croire que le visa arrangerait l’Amicale. Il n’est pas d’exemple d’organisation juive sollicitant l’instauration de l’étoile jaune…Les dictateurs ont peur de la libre circulation. En tout cas, les démocrates ont pour devoir à la fois de dénoncer ce projet et le terrorisme, quel qu’i soit.
JA : Quel a été votre état d’esprit lors de l’arrivée de Chadli Bendjedid à la tête de l’Etat ?
HAA : Je ne le connaissais pas personnellement. Mais j’ai toujours été, dans ce type de circonstance, positif. Déjà, lors du coup d’Etat de 1965, alors que j’étais en détention à la prison de Maison Carrée à Alger, j’avais dit à ceux qui étaient venus solliciter mon avis, notamment Taleb Ibrahimi, d’aller « tâter le terrain » auprès de Boumedinne pour ne pas abandonner aux militaires la totalité du champ politique. Cette attitude initiale de bienveillance a été la mienne également lors de l’arrivée de Chadli. Je n’avais aucune raison particulière ni de lui signer un chèque en blanc, ni de m’opposer à lui.
JA : Des contacts entre vous et lui ont donc eu lieu…
HAA : Oui, à différents niveaux.
JA : Qui était demandeur ?
HAA : Je n’ai jamais été demandeur.
JA : Qui vous a contacté ?
HAA : L e premier à venir e voir était un colonel proche de Chadli. Puis M’Hamed Yazid, ‘ancien ministre de l’information du GPRA et quelques autres.
JA : Quelles propositions vous ont-ils faites ?
HAA : J’ai entendu des paroles fraternelles, à l’orientale. Mais dés que l’on s’est mis à parler politique, les choses furent différentes. J’ai formulé devant eux mes propres desiderata : en aucun cas une participation au pouvoir, mais une amnistie générale pour tous les détenus d’opinion et surtout, je l’ai suggéré de chercher les voies et moyens de sortir du parti unique, de créer des espaces de libertés. Soit en officialisant mon propre mouvement, qui avait été reconnu par Ben Bella trois jours avant le coup d’Etat de 1965. Soit en autorisant la création d’un journal différent. Soit les deux à la fois. Bref, discutons… Je n’ai en fait été intransigeant que sur un seul point, fondamental : mon opposition au parti unique. Non pas par obsession fétichiste, mais parce que le parti unique c’est tout simplement l’instauration d’un colonialisme indigène.
JA : Et c’est sur ce point précis que les négociations ont achoppé ?
HAA : D’excellentes relations ont suivi des prises de contacts. J’allais dans les ambassades d’Algérie à Berne et à Paris de la façon la plus décontractée et tout devait se concrétiser lors du trentième anniversaire de la Révolution, le 1er novembre 1984, date retenue en commun pour notre retour au pays. Ils s’étaient engagés sur tout : l’amnistie, la réhabilitation des familles victimes de la répression entre 1963 et 1965, la formulation de propositions concrètes… Et puis, quelques jours avant cette date, c’était un vendredi, on m’annonce que le chef de la mission algérienne à Genève me cherchait partout avec un message de la présidence à me transmettre d’urgence. Je l’ai donc vu. Il m’a dit qu’une commission ad hoc présidée par Chadli Bendjedid dont Taleb Ibrahimi faisait partie devait se réunir le surlendemain à Alger pour examiner une ultime fois le dossier FFS.
« Il n’y aura, en principe aucun problème, m’a-t-il confié, mais on me charge de vous demander un effort ; il faut que vous nous facilitiez la tâche en vous engageant à ne plus faire de politique »
Bien évidemment, cette condition était inacceptable puisqu’on me demandait en somme de renoncer à ma qualité de citoyen. J’ai appris plus tard que la sécurité militaire redoutait que des manifestations de soutien éclatent en ma faveur et que ces « dérapages » deviennent incontrôlables.
JA : Ce fut donc la rupture ?
HAA : Oui. Ils savaient à l’avance que je refuserais. J’ai trouvé cette démarche, disons… indécente.
JA : Et vous n’avez pas songé à accepter ces conditions, quitte ensuite à ne plus jouer le jeu ?
HAA : Si Mestiri en Tunisie et Bouabid au Maroc ont pu, de l’intérieur et au prix de grandes difficultés, imposer l’existence de leur parti, ce type d’action est impossible en Algérie. Il n’y a aucune règle du jeu, aucune souplesse dans ce pays ou règne l’anachronisme et ou tout est verrouillé. Le choix est simple : Le silence ou la prison. L’idéologie sécuritaire la plus étroite a remplacé l’idéologie unitaire de l’indépendance ; en son nom, tout est interdit. Regardez comment ils ont agi dés que la Ligue algérienne des droits de l’homme ou l’Association des fils de martyrs ont essayé de faire entendre leurs voix…
JA : Existait-il des liens organiques entre vous et ces deux mouvements ?
HAA : Aucun, même si des militants de qualité comme Faouzi, d’ailleurs sauvagement torturé pour son appartenance aux FFS, en ont été les promoteurs. Mais je partage leur combat.
JA : Qui gouverne aujourd’hui à Alger ?
HAA : Chadli, incontestablement. Avec et au milieu des clans. Boumediene était un potentat qui ne cherchait pas à endosser les habits du libéralisme. Lui a voulu adopter un discours « ouvert », mais il s’est enlisé dans ses contradictions.
JA : Et le parti FLN ?
HAA : C’est une tapisserie, une enluminure. Soulevez-la et vous apercevrez le grouillement des sous-partis, des sous-castes. Il existe actuellement au sein du FLN une lutte intense pour diminuer l’influence de Cherif Messaadia, son « patron », au profit de l’armée et des services de sécurité. Elle s’est traduite tout récemment par l’exclusion du comité central de vingt-huit chefs de Mouhafadas qui en étaient membres.
JA : L’armée conserve donc son omnipotence…
HAA : Tout à fait. Et c’est ce qui nous inquiète le lus.
JA : Chadli Bendjedid peut-il être le président de l’après-pétrole ? Celui qui fera accepter aux Algériens l’épreuve de l’austérité ?
HAA : La crise d’aujourd’hui, ne l’oublions pas, a été préparée par vingt ans de gaspillage et de mauvaise gestion. La conjoncture a trouvé l’Algérie en position de moindre résistance. Une preuve : l’agriculture démantelée. Ce qui caractérise ce régime, c’est la privatisation de l’Etat, l’appropriation du patrimoine national par les clans, voire les familles dirigeantes. L’appel à l’austérité pour les autres n’est donc, en aucune mesure, crédible. De plus, à la différence de Boumediene, Chadli n’a ni autorité réelle, ni perspectives claires. Il ne peut donc pas avoir force d’exemple.
JA : Comment jugez-vous le Kaddafi de 1986 et quelle a été votre réaction lors du raid américain du 16 avril ?
HAA : Ce fut une agression, impardonnable, inqualifiable. Un marteau pilon pour écraser un moustique. La politique de la canonnière dirigée contre un pays frère. Cela dit, je n’ai pas de sympathie particulière pour le régime Kaddafi, pas plus que pour tous ceux qui sont fondés sur la violation des droits de l’homme.
Le pouvoir absolu corrompt absolument et aucun pays, si sonores que soient ses slogans, ne peut se soustraire à cette loi. La suppression physique des opposants dans le style des chasseurs de primes constitue à mes yeux un fait de corruption politique absolu.
JA : Votre position à propos du conflit du Sahara occidental a étonné. Etait-il nécessaire de vous aligner ainsi sur les thèses marocaines ?
HAA : Il ne s’agit pas d’un alignement. Soyons clairs : il n’existe pas de solution de laboratoire à ce problème, en dehors de l’espace et du temps. Je déplore le mal fait par cette guéguerre larvée, tout ce temps perdu pour la construction du Maghreb. Il faut lever l’hypothèque. Les frontières ne doivent pas être nos limites, mais nos possibilités. Des vastes zones communes de développement doivent être aménagées de part et d’autre de nos frontières, qu’elles soient ou non objet de litige et il faut inventer pour elles des formes audacieuses d’autonomie. Je propose qu’une conférence de tous les Etats riverains du Sahara soit organisée sous l’égide des Nations Unis et de l’OUA pour établir des projets stratégiques de développement susceptibles d’enrayer les progrès de la désertification.
Reste que l’impossibilité, pour l’instant, de trouver une solution rapide à ce problème du Sahara ne doit pas empêcher que s’amorce la construction du Maghreb, un Maghreb de la démocratie et non un Maghreb des armées et des polices.
« La solution » saharienne interviendra dans la foulée, tout comme des garanties de survie, voire de qualité de la vie, pour le peuple touareg.
JA : Vous vous êtes rendu au Maroc dans un passé récent, après votre »appel de Londres »
On vous y a vu, entendu. N’était-ce pas vous situer en porte à faux par rapport à l’opinion algérienne et prêter le flanc aux critiques ?
HAA : Ecoutez, je fais peu cas des certificats délivrés par ce pouvoir. Les médailles, les contre-médailles, tout cela rappelle le temps des tirailleurs. Je suis un Maghrébin sincère et conscient ; je me sens donc pro-marocain, pro-tunisien, pro-mauritanien et cela me conforte dans mon algérianité.
JA : Les médias algériens vous qualifient aussi souvent, vous et Ben Bella de « revenants »…
HAA : Ils voient des fantômes partout : c’est aussi cela l’algériasclérose. N’ont pas la conscience tranquille, car la cité est encore hantée par le souvenir d’une révolution, d’une jeunesse politique, ardente et responsable qui a réussi à s’autonomiser par rapport à ses dirigeants et à conduire l’Algérie à l’indépendance. Et puis que signifient ces critiques dans un pays ou la presse est dirigée par la police ?
JA : Votre opposition prendra-t-elle un jour d’autres formes, disons plus radicales ?
HAA : Notre combat est uniquement et totalement non violent. Je n’ai jamais cru en l’activisme aveugle.
Nous ne ferons pas, surtout sur ce terrain, le jeu du pouvoir.
Propos recueillis par François Soudan 1986