Une main, une seule, a pu bouleverser un pays de 60 millions de mains. Parmi ces 60 millions de mains:
5 millions demandent l’aumône dans les quartiers populaires, devant les mosquées et les bars. 30 millions prient Dieu le Tout-Puissant de les débarrasser de ce pouvoir mafieux. 500 000 jettent des pierres sur des gendarmes qui tuent. 1 million transportent des bidons d’eau. 500.000 font l’auto-stop. 500 000 disent non aux auto-stoppeurs. 1 million écrivent des lettres d’amour pour demander la séparation. 500 000 tuent et égorgent. 500 000 creusent des tombes depuis dix ans. 500 000 disent «au revoir» à leur bien-aimés tués. 100 000 fouillent dans les sacs de vieilles femmes dans les bus de l’ETUSA. 400 000 tournent les pages des journaux. 350 000 déchirent El Moudjahid, Horizons, Ech Chaab. 100 000 se défendent contre les griffes de policiers en colère. 2 millions éteignent la télévision avant le discours de Bouteflika. 50 000 forment le « 19 » pour demander un numéro qu’ils n’auront jamais.
Il restera en tout 19 millions de mains. Des mains de 9 millions et 500 000 Algériennes et Algériens. 3 millions et 500 000 sont à l’étranger. Il restera quand même 6 millions, donc 12 millions de mains. Parmi ces 12 millions de mains : 4 millions fouillent dans les comptes des banques publiques, 2 millions déchirent les archives de l’Histoire, 1 million brûlent les archives de l’Administration, 2 millions pour la chita, 1 million tirent sur des jeunes manifestants, 1 million ramassent de l’argent et prennent la tchippa, et, enfin, 1 million pour applaudir le discours du ministre de l’Intérieur. On a le droit de se poser une question : en quoi cette main étrangère peut-elle déranger ? Elle dérange qui et comment ?
Au fait, notre pouvoir ne veut pas d’une main étrangère qui donnera un peu d’argent aux 5 millions de mains qui demandent l’aumône. Il ne veut pas d’une main étrangère qui appuiera les 30 millions de mains qui prient Dieu de les débarrasser de ce pouvoir. Il ne veut pas d’une main étrangère qui prendra une pierre à ces 500 000 qui les jettent sur des gendarmes pour comprendre les raisons de cette révolte. Il ne veut pas d’une main étrangère qui réglera le problème de l’eau pour éviter à ce 1 million de mains de transporter des bidons. Il ne veut pas d’une main étrangère qui aidera ces 500 000 mains qui font de l’auto-stop afin de trouver des moyens de transport. Il ne veut pas d’une main étrangère qui arrêtera l’effusion de sang pour éviter à ces 500 000 mains de creuser des tombes
Ce pouvoir cherche une main étrangère ou « étranglère » qui aidera les 4 millions de mains à prendre l’argent des banques publiques et à les cacher dans des banques d’une main étrangère. Une main qui aidera les 2 millions de mains qui déchirent les archives de l’histoire de notre Révolution, cette main qui étranglera Aït Ahmed dans une chambre d’hôtel après l’avoir déchu de sa nationalité algérienne. Une main qui aidera le 1 million de mains qui brûlent les dossiers de l’Administration, une main qui effacera toute trace de détournement des biens de notre peuple. Une main qui aidera ces 2 millions de mains de la chita pour se transformer en mains qui chatouillent nos dirigeants. Une main qui aidera, par des armes sophistiquées, le 1 million de mains qui tirent sur des jeunes révoltés. Enfin, une main étrangère qui aidera ce 1 million de mains qui demandent la tchipa et autres pratiques mafieuses. C’est là la main et la seule que voudra notre pouvoir. Mais, cette fois, il risque de l’avoir sur la joue, s’il se la joue.
C.B, In Le Matin , mai 2001