14 décembre, 2007
Les attentats d’Alger: « Et si ce n’était pas les islamistes? »
Le double attentat à la voiture piégée qui a visé hier les sièges de la Cour Suprême et du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-unies a été revendiqué dans la soirée par la Branche armée d’Al-Qaïda au Maghreb (BAQMI, ex-GSPC). Comment expliquer cette recrudescence depuis avril dernier des attentats en Algérie ?
- Farid Aichoune: Ces attentats sont signés, du fait du « modus operandi », de la même manière que ceux perpétrés par les terroristes kamikazes islamistes en Irak et en Afghanistan. S’ils ont effectivement été fomentés par des islamistes, on peut en conclure qu’il s’agit de ce qui reste du maquis. Ce serait alors le signe d’un échec de la politique de réconciliation nationale voulue par le président Abdelaziz Bouteflika. Les islamistes seraient parvenus à se refaire une santé et auraient rallié Al-Qaïda.
Mais cette version soulève de nombreuses questions. Déjà parce qu’il est difficile de croire en cette Branche armée d’Al-Qaïda au Maghreb. Car, d’une part, Al-Qaïda n’existe pas en soi, ce ne sont que divers mouvements à travers la planète qui s’en revendiquent, et, d’autre part, Ben Laden s’est toujours méfié des islamistes algériens car il les pense infiltrés par les services secrets. Enfin, le GSPC (qui a changé de nom pour devenir la Branche armée d’Al-Qaïda au Maghreb), était opposé aux attentats aveugles et c’était précisément parce qu’il était contre ces massacres de civils qu’il s’est désolidarisé du GIA. Comment le GSPC aurait-il pu retourner sa veste et en venir à se « GIAsisé » ?
Vous sous-entendez donc qu’une autre piste est possible, qui ne serait pas celle des islamistes…
- Il y a en effet une autre hypothèse. Il est possible que ces attentats aient été perpétrés dans le contexte de la féroce guerre de succession qui fait rage depuis l’hospitalisation de Bouteflika au Val de Grâce à Paris il y a deux ans. Je m’explique. Cette guerre larvée oppose deux clans. L’un est représenté par le FLN au pouvoir, à travers le premier ministre Abdelaziz Belkhadem, et l’autre par le Rassemblement national démocratique (RND), à travers l’ancien premier ministre de Bouteflika, Ahmed Ouyahia. Il se dit qu’Ouyahia, considéré comme proche de l’armée et du département des renseignements et de la sécurité (DRS, ex-Sécurité militaire), serait le candidat de l’armée pour l’après Bouteflika. Belkhadem, en revanche, est la bête noire de l’armée.
Quand Bouteflika a voulu lancer sa politique de réconciliation nationale, il est allé chercher Belkhadem car celui-ci a l’oreille des islamistes modérés. Mais en 1992, juste avant le second tour du processus électoral, Belkhadem, alors président de l’Assemblée Nationale, a été obligé par l’armée de démissionner la veille du putsch militaire. L’armée ne veut pas retrouver celui qu’elle a exclu en 1992, car il est connu pour ses positions crypto-islamistes et est partisan de la refonte de la constitution qui permettrait à Bouteflika de briguer un troisième mandat. C’est une guerre à la fois ouverte – Ouyahia a déclaré le 28 novembre dernier qu’il n’était pas question de toucher à la constitution -, et sourde. Nombreux sont ceux dans l’opinion publique algérienne qui considèrent que ces attentats ne sont pas sans lien avec ce règlement de compte entre les clans. Il faut se rappeler aussi que la vague d’attentats à la voiture piégée à Alger des années 96/97/98 avait également pour toile de fond une lutte entre deux clans, entre celui du général Zeroual, président de la République, et des services secrets de l’armée, car il voulait créer un parti avec le secrétaire général de l’UGTA à sa tête, Abdelhaq Benhamouda. Comme par hasard, ce dernier a été assassiné et l’armée a mis Bouteflika au pouvoir.
Mais comment expliquer alors que l’attentat ait été revendiqué par un groupe islamiste et qu’il ait visé, entre autre, une organisation internationale ?
- On peut imaginer que ce soit une stratégie de camouflage de la part des commanditaires. Le fait que l’attentat contre une organisation des Nations unies rappelle celui qui avait été commis à Bagdad en 2003 permet certes de privilégier la piste islamiste mais n’exclut pas la seconde : le fait de copier l’Irak pourrait avoir pour but de mieux faire croire que ces attentats ont été commis par des islamistes. De même que la revendication. D’autre part, il est extrêmement difficile de faire confiance aux services de sécurité algériens. Je pendrai un exemple révélateur : le 22 septembre dernier le ministre de l’intérieur algérien Yazid Zerhouni annonce que le chef historique du GSPC, Hassan Hattab, s’est rendu. Mais début novembre, comme le rapporte le quotidien Liberté, le prévenu ne se présente pas à la cour qui doit le juger. Qu’est-ce que cela veut dire ? A-t-il été tué ? Ou ne s’est-il jamais rendu ?
Après une telle histoire, il est plus légitime que jamais d’être prudent. Dans le système algérien déjà très opaque et qui l’est d’autant plus depuis le lancement de la guerre contre le terrorisme, il est encore plus difficile qu’auparavant d’y voir clair. Quand on sait que même les Etats-Unis, la première puissance démocratique du monde, a pu mettre en place un système ultra-opaque qu’elle a justifié par sa guerre contre le terrorisme, avec des sites noirs à travers le monde pour détenir et torturer ses prisonniers, Guantanamo, etc., on peut facilement imaginer ce que cela peut donner dans un pays comme l’Algérie où la démocratie n’est qu’une façade.
Reste que, de toute façon, Bouteflika va payer l’addition, qu’il s’agisse d’un règlement de compte ou des islamistes.
Interview de Farid Aïchoune par Sarah Halifa-Legrand
(le mercredi 12 décembre 2007)