19 janvier, 2008
Le serment «menteur» des sénateurs et des députés de Béjaïa
Correspondant de La Tribune à Béjaïa, Kamel Amghar
A chaque échéance électorale, les candidats en course aux mandats populaires se livrent à une surenchère extraordinaire en matière de promesses et d’engagements conjoncturels qu’ils oublient vite une fois élus. On promet d’être constamment à l’écoute, de donner l’exemple en matière de droiture et de respect de la volonté collective, et de servir sans relâche l’intérêt général. On se présente en démocrate, en homme de débat et d’ouverture. On s’engage sur la transparence et la défense des libertés. On raconte les lendemains qui chantent, le développement et le progrès qui se profilent à l’horizon. On sollicite, pour cela, uniquement la confiance des gens. A la lecture des résultats, un vendredi matin, les heureux élus changent de préoccupations, archivent les discours et se font aussi oublier le temps d’un quinquennat doré pour revenir ensuite solliciter, encore et encore, la bonne foi des électeurs désabusés.
A la veille des législatives du 17 mai de l’année dernière, partis politiques et candidats indépendants ont promis d’ouvrir partout des permanences parlementaires pour se rapprocher de leurs mandants. Ils ont tous «juré» de recevoir tous les habitants qui auraient besoin de leur «précieux» concours, d’être disponibles pour les structures de la société civile et de transmettre à qui de droit leurs doléances. La loi avait aussi inscrit la question dans les indemnités de mandat pour permettre aux députés et aux sénateurs d’entretenir des liens permanents avec leurs régions respectives et être au plus proche de leurs préoccupations quotidiennes.
Mais, force est de constater que les permanences promises tardent toujours à voir le jour. Sur les 13 parlementaires (11 députés et 2 sénateurs) que compte la wilaya de Béjaïa, aucun n’a daigné honorer la parole donnée à ce sujet. Cette question, évoquée pour la première fois au lendemain des élections générale de 1997, reste toujours un simple vœu pieux.
C’était Djoudi Mameri, alors P/APC de Tichy et candidat du FFS aux premières élections sénatoriales qu’a connues le pays, qui a été le premier à en faire la promesse. Le concerné, qui a «tiré» cinq bonnes années à la chambre haute du Parlement, n’a pas tenu parole. Son co-élu, Madjid Abid (également du FFS), s’est aussi démenti. Depuis, beaucoup d’autres ont fait le même serment menteur. Lors des législatives de la même année, Zenati, Ouazar, Bouaïche, Laïnceur, Taleb, Bouguermouh et Titouah (FFS), Ferdjellah, Mira, Hamoudi (RCD) et Stambouli (MSP) avaient fait des professions de foi similaires qui sont restées, bien sûr, lettre morte.
En 2002, le renouvellement des membres des assemblées élues s’est déroulé dans un contexte particulièrement tendu et les candidats avaient naturellement «promis» de coller aux réalités du terrain pour dénouer pacifiquement la crise. Babouche, Ilha, Laïb, Moualfi, Mouzaoui, Oulebsir, Oumbiche (FLN), Khima (RND), Bousbah (Islah), Bourdjaoui (PT) et Khaled (Indpt) ont achevé leur mandat à l’APN comme ils l’ont entamé, c’est-à-dire en illustres anonymes. Ils se sont éclipsés durant tout leur mandat, avant de revenir pour la campagne de 2007. Beaucoup d’entre eux ont même changé leur lieu de résidence en s’établissant à Alger ou à l’étranger.
Lors du scrutin législatif du 17 mai 2007, l’électorat a boudé les urnes comme pour sanctionner les escroqueries antérieures. 18% de taux de participation. Ferdjellah, Derguini, Mira Tarek, Mazouz (RCD), Sellah, Zeghouati (FLN), Alilat, Bouchoucha (RND), Mira Smaïl (RPN), Bektache (ANR) et Meziane (Indpt) sont les heureux lauréats de ce mandat qui court jusqu’en 2012. Neuf mois plus tard, aucune permanence ouverte, même s’il se trouve parmi ces derniers des gens qui avaient promis la moitié de leur traitement au profit du mouvement associatif. Pis, deux députés, profitant de leur nouvelle situation sociale, se sont déjà installés à l’étranger. Les nouveaux sénateurs Tazdaït et Mokrani (FLN) se sont également fait oublier. Tout ce beau monde reviendra probablement dans cinq ans pour quémander une nouvelle mandature. Ouvrir un bureau, engager un attaché parlementaire et un secrétaire ne relève pourtant pas de l’impossible, d’autant plus que la législation algérienne a consacré «un crédit collaborateur» à cet effet.
Les administrés ne comprennent pas le pourquoi de cette cupidité extraordinaire et de cynisme légendaire de nos parlementaires. «Rencontrer les citoyens le plus souvent possible, dans les permanences ou lors des manifestations publiques, sert le député, lui-même, au premier chef. Cela lui permet, d’abord, de s’imprégner des réalités pour bien étoffer ses interventions au Parlement et, ensuite, de défendre constamment ses chances en prévision des consultations futures.
En s’isolant comme ils l’ont toujours faits, nos élus s’éloignent de la vérité et préparent leur propre désaveu populaire», estime Mohamed, un cadre financier. Ferhat, étudiant à la fac de droit, pense la même chose et croit qu’un tel engagement permettra de créer quelques emplois comme il contribuera à une meilleure prise en charge des problèmes. «C’est un geste qui raffermit les liens de confiance entre l’élu et sa base électorale. La permanence parlementaire est également de nature à prévenir et à résoudre les situations de crise. Mais, nos députés ne semblent pas prendre conscience de tout cela», constate-t-il. D’autres citoyens justifient cette absence par «le mépris, la cupidité et l’égoïsme» des parlementaires à l’égard des populations qui les ont porté au pouvoir. Un sentiment d’amertume largement répandu qui écorche profondément l’image des députés et des sénateurs de la région. Initialement «mal élus», les concernés s’embourbent davantage en prenant ainsi leur distance de la source même de la souveraineté qui leur fait cruellement défaut. C’est un constat navrant. K. A