Par Chafaa Bouaiche, La Tribune du 6 mai 2008
Le «débat» sur la «nécessité» d’ouvrir l’audiovisuel au privé s’est encore une fois invité en Algérie à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse. En effet, lors de la cérémonie qu’il a organisée en l’honneur des journalistes ou à l’occasion de son passage au forum de l’ENTV, le ministre de la Communication, M. Abderrachid Boukerzaza, a été interrogé au sujet d’une éventuelle ouverture du champ audiovisuel au privé. La réponse de M. Boukerzaza est sans ambiguïté : l’ouverture de l’audiovisuel, a-t-il expliqué, doit passer par plusieurs étapes, soulignant que la plus importante, déjà réalisée, est celle relative à la création d’agences de communications et de production audiovisuelle «qui existent actuellement en grand nombre en Algérie». Même s’il est vrai que le nombre d’agences de production audiovisuelle est important dans notre pays, beaucoup de gens se posent la question sur l’identité de leurs propriétaires. D’ailleurs, de nombreux spécialistes dans le domaine de la communication savent, par exemple, que des journalistes, payés par l’ENTV, ont créé leurs propres «boîtes». Ainsi, la télévision publique leur assure des salaires, sans travailler, en leur qualité de journalistes et des marchés en leur qualité de patrons. Aussi, il faut souligner que l’octroi des marchés ne se fait pas souvent dans le respect des règles et des critères qu’exige la loi. Ce qui fait que beaucoup de produits émanant de ces agences privées frôlent la médiocrité… Par ailleurs, le programme de l’ENTV est médiocre, la qualité du son et de l’image laisse à désirer. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont fait que l’Algérien, de plus en plus exigeant, a décidé de tourner le dos à la télévision de son pays.
Une question se pose aujourd’hui : l’ouverture de l’audiovisuel au privé apportera-t-elle un quelconque changement ? Les Algériens ne peuvent être que sceptiques, car l’existence d’une presse privée ne reflète pas forcément l’existence d’une presse libre et professionnelle. Si l’ENTV n’ouvre ses portes aux partis de l’opposition, par exemple, que lors des campagnes électorales, qui pourra garantir aux Algériens qu’une télévision privée ne fera pas autant ou pire ? Aujourd’hui, en cédant au pouvoir de l’argent les secteurs de la presse écrite et de l’audiovisuel, l’Algérie risque de mettre en péril une profession pour laquelle de nombreux journalistes ont sacrifié leur vie.
L’urgence n’est pas à l’ouverture de l’audiovisuel au privé mais plutôt d’ouvrir la télévision algérienne au public. Pour ce faire, il suffit de réhabiliter le caractère de service public de l’ENTV. Un service longtemps remis en cause par les opportunistes, les arrivistes et les corrompus que seul le gain facile motive. Notre télévision publique doit avoir l’ambition de s’ancrer y compris en dehors des frontières algériennes. Et ce n’est certainement pas avec son rythme actuel et la déliquescence de ses programmes qu’elle réussira cette mission. Il est grand temps que les autorités politiques du pays prennent les choses en main pour rendre aux Algériens leur télévision.