Dans un entretien diffusé lundi par la télévision Médi1-Sat, M. Hocine Aït Ahmed, est revenu sur l’affaire du détournement le 22 octobre 1956 d’un avion marocain transportant de Rabat à Tunis cinq dirigeants algériens (Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf et Mustapha Lacheraf).
L’invité de l’émission a répondu à Hassanein Heykal, ancien confident du président égyptien Gamal Abdel-Nasser, et ancien PDG du quotidien Ah Ahram, qui avait fait état de la complicité du pouvoir marocain dans l’arraisonnement de l’avion, dans une série historique diffusée par la télévision arabe Al Jazira.
Intégralité des propos de M. Hocine Aït Ahmed*
Hocine Ait Ahmed : Ecoutez, vous savez, en tant qu’Algérien, j’ai l’habitude de ne plus m’étonner de voir resurgir des mensonges ridicules et excentriques dans la seule fonction est de totalement travestir la réalité. L’essentiel c’est de faire en sorte que la population et l’opinion maghrébine puissent retrouver la vérité.
(…) Le but du déplacement ?
HAA : Et bien le but est politique. L’idée c’est d’y aller à une conférence maghrébine avec les Marocains et les Tunisiens qui permette de modifier l’équation politique. Fini le tête-à-tête Algérie-France ! Il fallait que le problème devienne d’abord essentiellement un problème maghrébin. C’est ce qui donc nous permet d’avoir un rapport de force.
Au sujet de la complicité du Maroc
HAA : Vous savez que l’armée n’avait pas besoin de complicité. Depuis le 1er novembre, l’armée cherchait à décapiter la direction du FLN pour désagréger les structures qui combattent en Algérie. Le Sdec* était sur place ; il n’avait pas besoin de complicité. Le Sdec était sur place aussi à Tunis, était au Caire, c’est là-bas qu’ils ont essayé de décapiter le bureau du Maghreb. Donc, il était exclu qu’il y ait une complicité au sein du pouvoir marocain, puisque le prince héritier Hassan II a transmis au roi Mohamed V ma crainte lorsqu’ils ont décidé que nous partirons ensemble dans le même avion que le roi. Je n’étais pas d’accord ; je les ai mis en garde qu’en le risque que courrait le roi Mohamed V. C’est moi qui ai suggéré. Il est évident que la responsabilité incombe au Sdec. D’ailleurs, les préparatifs du détournement sont assez parlants.
(…)
Nous ne parlons pas de la France. L’objectif de l’armée, parce qu’en fait c’est elle qui avait le monopole d’en finir avec la révolution algérienne. Ils ont de tout temps essayé de faire des offensives dans les montagnes, mais en même temps d’en finir avec la direction extérieure. En nous arrêtant, ça pouvait désagréger totalement l’organisation intérieure.
La stratégie fondamentale de l’armée : il fallait à tout prix empêcher la conférence de se tenir parce qu’il pouvait y avoir des conséquences irréversibles en faveur d’un autre solution que celle de la guerre totale.
Ces messieurs (un écrivain et un autre témoin) dénoncent d’une façon catégorique l’accusation de complicité de comment s’appelle ce journaliste… (Haikel), puisqu’ils considèrent qu’ils sont dans une guerre totale et que dans cette dynamique ils pouvaient arrêter et priver la révolution algérienne de ses dirigeants.
Quelles ont été les réactions internationales ?
HAA : Ça été une levée de boucliers formidable, d’abord au Maroc. Ce qui était important du point de vue politique, du point de vue diplomatique, c’est la réaction très ferme aussi bien du roi marocain Mohamed V que du prince héritier qui ont dénoncé. On ne peut pas ne pas citer le fait que le roi Mohamed V a proposé de donner son fils en échange de la libération de ses hôtes qu’il avait reçus. Ce qui est important, la déclaration très forte du roi a eu un retentissement formidable du point de vue de l’opinion et surtout du point de vue de la façon dans les Américains et les autres conçoivent, parce que, de tout temps, ils ont protesté contre la solution guerrière du problème algérien
Dans ce fameux DC3 détourné, vous avez longuement parlé à une journaliste…vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit ?
HAA : Je me suis confié en disant que maintenant l’affaire de l’indépendance de l’Algérie ce n’est plus le monopole des Algériens, c’est le Maghreb. C’est une nouvelle stratégie. Pas une stratégie qui va faire basculer le Maghreb dans la guerre, mais on était persuadé : le rapport de force changerait. Vous voyez, le général De gaulle sait très bien pourquoi il en est venu de mettre fin à la guerre. C’est parce que du point de vue international, du point de vue militaire, les choses risquaient de y allez. Les Français avaient peur de perdre aussi la monarchie marocaine.
J’ai transmis à la journaliste le document des résolutions de la Soummam. Puis, je devais faire venir un bateau d’armement des Etats-Unis au Maroc, et c’est le prince héritier Moulay Hassan, auquel je me suis adressé, qui m’a dit : je vous donne la licence qui vous autorise à faire ça.
A propos de la place qu’occupait le Maghreb dans le combat pour la libération de l’Algérie
HAA : Bien évidemment. Vous savez qu’on ne peut pas tromper tout le monde et tout le temps. Ce qui est important c’est de remettre aux peuples et aux individus le destin du Maghreb.
NB: Transcription par El Mouhtarem www.ffs1963.unblog.fr. Je n’ai pas repris les questions dans leur intégralité.