Depuis quelques semaines*, des spécialistes de la question soulèvent la thèse d’un très probable échec du projet de privatisation du CPA. Les dernières interventions publiques de Mme MENTOURI, ministre déléguée à la réforme financière, et de Karim DJOUDI, son ministre de tutelle, en faveur de l’éventualité d’une relance prochaine du processus de privatisation de la banque, sont alors lus comme des réactions de nature « défensive » à des questions importantes, bien précises, qui viennent d’être soulevées. Ces dernières questions, d’ordre purement financier, militent en faveur de l’échec du projet, qui serait de ce point de vue, au moins, inéluctable.
L’on site deux raisons directes, en relation avec la crise des subprimes et la turbulence actuelle des marchés financiers, qui pour comprendre leur poids dans la thèse défendue (Echec du projet de privatisation), il faudrait rappeler que parmi les six banques pré-qualifiées à l’acquisition de la banque algérienne, les offres du Crédit Agricole et de
la Citibank étaient les plus attendues. En effet, d’une part, ces deux banques sont les plus intéressées par l’entré dans le marché algérien : Société Générale, BNP PARIBAS et NATIXIS ont déjà investi considérablement en Algérie, Banco Santander – l’espagnole – s’est retiré de la course. D’autre part, les deux banques (CA et Citibank) comptent parmi les premiers groupe mondiaux (Le Groupe Citibank était largement et longtemps en première place mondiale avant la survenance de la crise des subprimes).
Ainsi, la première cause directe de l’échec annoncé de la privatisation a trait au retrait, non officiel mais quasi certain, de la course au rachat du CPA, du Crédit Agricole. Ainsi suite à la crise financière actuelle, « le groupe français Crédit Agricole a annoncé qu’il n’envisageait plus d’acquisitions « significatives », a rapporté l’AFP qui cite le directeur général de cette banque, Georges Pauget » (El Watan du 6 mars 2008).
En deuxième lieu, le maintien à la course de Citibank devient, au fil du temps de moins en moins probable : à mesure que l’instabilité dans les places financières, la « visibilité » attendue sur les comptes des grandes banques impliquées s’échappe, quant elle ne prédit pas plus de pertes à enregistrer (chute des principales bourses mondiales) dans les comptes de Citibank.
Les dernières turbulences qu’ont connues les marchés financiers suite à la crise des crédits hypothécaires, confirme donc que l’instabilité sur les places financières mondiales persiste. A commencer par la place New-Yorkaise, marquée par l’intervention de
la FED, haute autorité monétaire américaine, pour le sauvetage de la banque d’affaires Bear Stearns. Le comportement des dirigeants de Société Générale, qui se sont pressées pour liquider les positions prises par Jéromes Kerviel, concrétisant ainsi une perte de 4.9 milliards de dollars US pour la banque, témoigne de la fièvre qui caractérisent les marchés.
Selon la ministre de l’Economie et des Finances française, Christine Lagarde, « Les turbulences sur les marchés financiers se sont aggravées au début mars (Reuters, 26 mars 2008) ».
En réaction, la France et la Grande-Bretagne ont réclamé jeudi une plus grande transparence des marchés financiers, appelant les banques à révéler « rapidement et totalement l’ampleur de leurs pertes », dans un communiqué diffusé à l’issue du sommet franco-britannique à Londres.
Toutefois, les deux raisons directes qui viennent d’être illustrées ne démentent pas le fait que « les groupes internationaux continuent de montrer leur intérêt pour entrer sur le marché (algérien) » (Financial Times, 31 janvier 2008). Et ce, compte tenu du fait que ce dernier enregistre un déficit de 900 agences bancaires environ (il y a, à ce jour, une agence pour 26 000 personnes) et que les moyens de paiement modernes sont à leur début. Sans parler des opportunités de financement, dans une économie (hors hydrocarbures) où tout est à construire.
En même temps que les conséquences négatives, sur le processus de privatisation, du contexte financier international, un autre fait négatif propre à la banque (état de son portefeuille de créances) est « très mal tombé ». De sorte que la valeur de la banque s‘est trouvée dévaluée sur le marché pour une raison intrinsèque (optique demande), au même moment où les acquéreurs potentiels n’étaient pas en position de faire de belles offres (contexte international). La loi de l’offre et de la demande a donc joué farouchement.
Autrement dit, l’état du portefeuille de la banque, n’a rien avoir avec l’environnement financier international mais il a influencé les offres de rachat (à la baisse). Ce qui témoigne de la dévaluation du CPA sur le marché. Cela s’est passé entre la phase de pré-qualification des banques acquérantes et la période de la survenance des méfaits de la crise des subprimes.
Problématique du portefeuille de la banque publique :
Au delà du problème technique ou comptable que pose le « taux d’irrécouvrabilité » dans le portefeuille de créances (Engagements) que détient le CPA sur ses clients, d’autres questions sont appelées.
Car il s’agit de créances qui ont été mal provisionnées (i.e pas assez provisionnées) depuis des années, conformément aux stipulations de la loi bancaire algérienne, dont
la Banque Centrale est la garante. Dans cet ordre d’idées, il convient de noter que les bénéfices répétitifs annoncés, au moins depuis ces dernières années, sont considérés comme des « bénéfices fictifs », dans une optique de recherche de la valeur réelle de la banque.
Ainsi ce « portefeuille » pose une question plus globale, plus cruciale, d’une gestion désastreuse de la banque : choix des projets à financer, faible capacité de recouvrement et non-conformité aux normes édictées par la réglementation.
Quoiqu’il en soit, cette dévaluation de la banque a été significative. Le « portefeuille » à balancer dans la passif de la banque est d’une valeur de 800 à 900 millions de dollars US. Rappelons qu’à la fin de la période accordée à la banque d’affaires Rothschild pour l’élaboration d’une offre préliminaire en vue de la pré-qualification des acquéreurs potentiels, il a été repris très souvent, au sein des cercles financiers, que le Crédit Populaire d’Algérie valait 2 milliards de Dollars. Par conséquent, le gouvernement algérien ne peut plus espérer récolter plus de 200 à 300 millions de dollars US. D’ailleurs, il a été rapporté et expliqué sur les colonnes d’un confrère (Dépêche de Kabylie du 27 janvier 2008) que la meilleure offre reçue par le gouvernement, à la veille de la décision de la suspension de la privatisation, ne dépassait pas le tiers (1/3) du prix attendu (relatif au 51% du capital à acquérir). Or, le gouvernement « voulait saisir l’opportunité de la privatisation » pour des fins purement politiques en prenant pour option de céder le CPA à un prix « trop » élevé, c’est-à-dire au delà même des 1,1 milliard de dollars US que valait le capital mis sur le marché. Cette affirmation et tous ces chiffres ont été appuyés par le Financial Times, dans sa livraison du 31 janvier 2008, et ce, en affirmant qu’il « a été attendu de lever environ 1.5 Milliards de dollars US (1 milliard d’EUR),.., selon les dire d’officiels du gouvernement algérien », par la cession du capital du CPA au privé. Le prestigieux journal parle alors de la « ruine » de l’opération de vente, en conséquence à la crise des subprimes.
Ce qui est important de savoir est si, dans le contexte précis, régnant à la veille de l’ouverture officielle des plis, le gouvernement algérien a pris la bonne option en décidant de la suspension du processus de privatisation.
Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que, officiellement, l’objectif stratégique et incontesté du projet de privatisation de « la plus performante » des banques publiques algériennes était bel et bien « la mise à niveau de la pratique bancaire » en Algérie.
Deux autres objectifs stratégiques aussi cruciaux, mais pas (ou pas assez) illustrés par le gouvernement, ont été soulevés (au niveau du pays) :
- l’amorce d’une gestion concrète du risque systémique dans le secteur bancaire algérien.
- la réduction des fuites qui règnent, directement, au sein des structures d’exploitation de la banque et, indirectement, dans les milieux de l’import. Il est important de rappeler que ce dernier élément est déterminant en matière de calcul du Risque Pays et, par voix de conséquence, très influant sur l’attrait ou non du pays pour les Investissement Directs Etrangers.
Cela étant admis et compte tenu de la très bonne situation financière du pays (réserves de change supérieures à 100 milliards de dollars US), il est difficilement concevable, pour les autorités, de renoncer ou d’échouer dans le Projet de privatisation pour des raisons autres que stratégiques ou par manque de savoir faire. Car la décision de suspension de la privatisation de la banque est tombée, certes, à un moment marqué par beaucoup d’incertitudes (contexte international), mais aussi au moment où tous les spécialistes sont conscients de tous ces enjeux. Au moment où la classe politique nationale (sauf cas exceptionnel !) n’a pas montré de résistances significatives au projet, et ce, compte tenu du fait que le problème des licenciements « auxiliaires » à toute privatisation, semble être bien pris en charge, depuis assez longtemps, par la filialisation de quelques activités de la banque notamment (à l’exemple de l’imprimerie).
Mais aussi, d’autres éléments, méritent d’être relevés. D’abord, les autorités ont tenté il y a six ans de privatiser le CPA par une procédure de gré à gré avec Société Générale. Procédure qui a échoué, alors même que l’Algérie était prête à céder la banque « même au dinars symbolique ».
Ensuite, c’est quasi certain que la meilleure des offres reçues à la veille de la suspension, provient de BNP Paribas (200 à 300 millions de dollars US). Ce qui est plus que probable du fait de : l’intérêt exprimé par ses dirigeants pour l’acquisition du CPA, le degré de pénétration du marché algérien, relativement élevé, par Société Générale, le faible intérêt connu de NATIXIS pour l’opération.
Ajouté à cela, il est connu que les choix d’extension de BNP Paribas et de Société Générale, partout à travers le monde, sont très liés. De sorte que l’une suit toujours, avec la même proportion d’investissement, la première d’entre elle à entrer dans un nouveau marché.
Ce qui nous permet de conclure que la non suspension, dans toutes ces conditions, de la privatisation du CPA, aurait certainement permis de réaliser les objectifs stratégiques attendus.
Par A. M. Lounis, cadre sortant de l’IFID, Tunis
* Texte écrit le 29 mars 2008