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Archive pour le 13 juin, 2008

Abdelkader Tigha:«En Algérie, la terreur sert les généraux et légitime leur pouvoir»

ABDELKADER TIGHA, ex-sous-officier algérien réfugié aux Pays-Bas
Il A TRAQUÉ pendant huit ans les terroristes du groupe islamiste armé (GIA) en Algérie. Durant ces années noires, Abdelkader Tigha a perdu un frère et vu de près tortures et disparitions. Ecoeuré, le jeune sergent quitte à l’époque son pays, les services algériens à ses trousses.
Après un périple qui l’amène de Tunis à Bangkok, il se réfugie dans la banlieue d’Amsterdam. Dans un livre qui paraît aujourd’hui*, il décrit les relations troubles entre armée et terroristes. Un témoignage qui coïncide avec la nouvelle vague d’attentats qui frappe actuellement l’Algérie. 

Pourquoi les Occidentaux sont-ils visés ? 

Abdelkader Tigha : Les terroristes algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ont compris qu’il fallait médiatiser au maximum leurs attaques. De quelle manière ? En frappant les Occidentaux, comme avec la mort de l’ingénieur français. Malheureusement, d’autres vont mourir, c’est certain. 

La France n’appelle pourtant pas ses ressortissants à quitter l’Algérie… 

Il y a des intérêts économiques en jeu. Mais travailler à l’est d’Alger est aujourd’hui très risqué pour un ingénieur occidental. Je conseille aux Français se trouvant en particulier en Kabylie d’envisager un retour. 

Le GSPC se dit proche d’Al-Qaïda. Qu’en pensez-vous ? 

Il n’y a pas d’Al-Qaïda en Algérie. Il s’agit des mêmes hommes qui ont alimenté la période noire dans les années 1990, sous le nom de GIA. Seule l’appellation a changé. Ils n’ont aucun lien avec Ben Laden, même s’ils ne souhaitent qu’une chose : faire de l’Algérie un Etat islamique. Et ils sont prêts à tout pour y arriver. 

Les militaires sont-ils complices, comme vous l’affirmez ? 

L’Algérie, qui a une grande expérience dans l’antiterrorisme, ne serait pas capable d’enrayer un mouvement concentré, aujourd’hui, dans une seule région ? Je n’y crois pas. En vérité, la terreur sert les généraux et légitime leur pouvoir. Lorsque j’étais sous-officier, on recueillait des informations précises sur des attaques, mais on n’avait pas l’ordre d’intervenir. Sur la mort des moines de Tibehirine, je mets clairement en cause la direction du contre-espionnage. 

Le président Bouteflika a-t-il échoué dans sa lutte contre le terrorisme ? 

Oui. Il a accepté la concorde civile, c’est-à-dire le pardon national aux terroristes. Ils sont libres et agissent de nouveau aujourd’hui. D’autres «émirs» s’affichent même dans les médias. Le président Bouteflika prend aujourd’hui clairement un virage intégriste. Son Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, nommé en mai 2006, est connu pour son conservatisme. Les procès récents contre les Algériens chrétiens en sont un autre exemple. 

Quel rôle peut jouer la France ? 

Elle doit lutter activement sur son territoire. Aujourd’hui encore, à Nanterre, Paris, Marseille ou Lyon, des intégristes sont actifs. Des sites écrits en arabe pullulent sur Internet. Ces activistes utilisent la France et d’autres pays européens comme plate-forme pour envoyer des armes. 

* « Contre-espionnage algérien : notre guerre contre les islamistes », d’Abdelkader Tigha avec Philippe Lobjois. Nouveau Monde éditions. 

Propos recueillis par Azzeddine Ahmed-Chaouch
jeudi 12 juin 2008 | Le Parisien 

La phrase du jour…

« Il est vrai que l’abus vient parfois des médias qui scrutent tous les détails de ce qui est appelé Al Qaïda au Maghreb, comme si cette organisation était une entité agréée avec siège social ! », Faycel Metaoui, in El Watan 

Le Makhzen du DRS condamne l’Algérie à la décadence

toufik.jpgLe dernier sommet de Tripoli s’est déroulé comme une tragi-comédie dévoilant la décadence des pays arabes, que Kadhafi a été le seul à exprimer. Entre vraies et fausses monarchies, les absents et les présents, le monde arabe ne sait plus quoi faire face à l’initiative de l’UPM. Il ne sait plus où il va et a perdu toutes les batailles du choc civilisationnel avec l’Occident. 

Après la destruction de l’Irak et du Liban, il s’apprête à assister en spectateur silencieux à l’anéantissement annoncé de l’Iran. Les dirigeants arabes acceptent tête basse le diktat occidental qui veut interdire aux pays musulmans la maîtrise de la technologie nucléaire, l’énergie qui va remplacer le pétrole dans un demi-siècle. 

Kadhafi a raison de parler d’humiliation. Sarkozy a «convoqué» les anciennes colonies à venir se mettre au garde-à-vous le 14 juillet à Paris… à côté d’Israël. Pour sauver leur trône, les monarques et les présidents à vie sont-ils prêts à faire subir cet affront à leurs peuples ? 

Les journalistes du monde arabe n’en peuvent plus d’écrire l’humiliation au quotidien que nous impose une génération post-indépendance qui refuse de passer la main et nous entraîne irrémédiablement dans une nouvelle décadence de «colonisabilité» définie par le penseur algérien Malek Bennabi. 

La vraie force de l’Occident réside dans le renouvellement des élites au pouvoir par des cycles de 5 à 10 ans où les démocraties parlementaires rythment la cadence des changements et des adaptations à chaque nouveau défi. 

Dans le monde arabe, les élus ont encore un rôle subalterne d’apparat protocolaire. Ce sont les «services secrets», les moukhabarate, qui tiennent toutes les institutions dans une main de fer. C’est particulièrement le cas de l’Algérie où
la Sécurité Militaire, après avoir été dominante depuis l’indépendance, a concentré tous les pouvoirs depuis la destitution de Chadli en 1992. Le décret d’état d’urgence autorise le DRS à placer des officiers dans toutes les institutions civiles et militaires. Plus rien ne bouge en Algérie sans l’aval du DRS. Depuis, le choix du président, des ministres, des chefs de région jusqu’au plus petit responsable, aucune nomination ne peut passer outre le droit de veto du DRS. 

C’est un véritable Makhzen qui s’est installé à la faveur de la politique du tout sécuritaire, qui répond totalement à la définition qu’en donnent les politologues et les encyclopédies. Le mot Makhzen vient du mot arabe khazana qui signifie cacher ou préserver. Aujourd’hui ce terme désigne à la fois le système et ses hommes, ses méthodes de gouvernement, ses moyens financiers et militaires, ainsi que la mentalité particulière du pouvoir totalitaire qui en découle. Historiquement collé à la dynastie alaouite au Maroc, le Makhzen désigne globalement «le pouvoir central du sultan, des vizirs, l’armée, la bureaucratie et toute personne contribuant à relayer ce pouvoir vers le reste de la population». Cela commence par les mouchards (commerçants, vendeurs de cigarettes, dealers,…) en passant par les notables, les affairistes,… 

En Algérie, le système makhzénien a été complètement assimilé et copié par les chefs du DRS et ses «mokhaznis» qui bénéficient de «l’irresponsabilité politique» et de «l’impunité juridique» dont seuls les monarques peuvent se prévaloir. On l’a bien vu avec l’affaire Khalifa où aucun responsable du DRS n’a été sanctionné ni inculpé. De même que les accusations d’anciens officiers du DRS contre leurs chefs sont restés sans suite nationale et internationale. 

Le DRS a instauré un «mode de gouvernance» où il s’implique dans toutes les décisions tout en restant «au-dessus de toute critique, de tout reproche, de tout soupçon». Son pouvoir ne souffre d’aucun contrôle parlementaire, d’aucune limite gouvernementale. Critiquer le DRS est un crime de lèse-majesté que les militaires, les journalistes et les politiciens paient par la prison, l’exil ou la mort. «Cette organisation sécuritaire est une forme de domination originale, un cadre institutionnel politique et militaire confectionné sur mesure» au mépris de
la Constitution. 

On peut appliquer au Makhzen du DRS l’expression de «système de servitude volontaire» définie par un spécialiste. Il entretient par la peur les allégeances au système dans une «pyramide de servitudes et de dépendances» ou «sous le tyran ultime, et de proche en proche, l’illusion de commander fait de tous et de chacun des petits chefs serviles à la dévotion du chef suprême, s’identifiant à lui, jusqu’à être tyranneaux eux-mêmes». 

L’appareil du DRS est devenu comme «une pieuvre monstrueuse qui enserre dans ses tentacules, épie, emprisonne, torture, neutralise, corrompt et écrase qui il veut, quand il veut» dans l’anonymat et la clandestinité des «services secrets». 

L’omerta des élites militaires et civiles confinent à une dangereuse lâcheté. Tout combat politique ou intellectuel doit conduire aujourd’hui à la destruction de ce système anticonstitutionnel qui n’a aucune légitimité, hormis celles de la violence et de l’injustice. 

Le makhzen du DRS fait et défait les présidents et les gouvernements dans le sang depuis 1992. Si le DRS n’est pas dissout et les services secrets réorganisés avant la prochaine échéance présidentielle, l’Algérie n’échappera pas à la décadence ou au chaos qui va s’ensuivre. 

Le prochain président que le Makhzen du DRS veut nous imposer va s’appuyer sur ce système pour le renforcer davantage et s’assurer une présidence à vie. 

Saâd Lounès

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