Le scénario prévu par le Makhzen du DRS et ses mentors continue de se mettre en place en clarifiant un peu plus son dénouement. Il faut être aveugle pour ne pas voir que Bouteflika est plus que malade. Il est quasiment mourant et astreint à un service minimum. Il ne peut plus faire de longs discours, ni participer à une trop longue cérémonie protocolaire, sous peine de faire un malaise.
Il est donc hors jeu de fait mais garde un minimum de fierté en montrant qu’il n’est pour rien dans le retour d’Ouyahia. Les traditions constitutionnelles et médiatiques veulent que le président reçoive à tour de rôle les chefs de gouvernement démissionnaire et promu. Il n’en a rien été. Belkhadem a rencontré furtivement Ouyahia pour lui remettre les clés du bureau avant de s’envoler pour une omra. Il était pressé d’aller expier les péchés qu’il a commis et les mensonges qu’il a déblatérés. L’exercice politique a toujours été un calvaire pour les hommes qui se disent pieux.
Le retour d’Ouyahia aux commandes du gouvernement, décidé par l’armée, signifie d’abord qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle parce qu’il sera chargé de l’organiser comme en 2004. Dans la tradition des bachaghas, il a démontré qu’il était un adepte de la fraude électorale et de la mystification, aidé par une presse servile et des partis croupions. Avant l’échéance de 2009, il va orchestrer la révision constitutionnelle «au nom du troisième mandat de Bouteflika». En réalité, le pouvoir veut faire sauter le verrou des deux mandats pour le prochain président qui sera un militaire. L’objectif étant de le faire durer le plus longtemps possible afin que les généraux qui ont du sang sur les mains et des comptes en banque bien remplis vivent une retraite paisible.
Dans la tradition des bachaghas, Ouyahia est également revenu pour renforcer les intérêts économiques français. Déjà dominants au Maroc et en Tunisie, les patrons français veulent parachever la reconquête économique de l’Algérie. Patients et têtus, ils utilisent toutes les facettes des mécanismes du capitalisme pour pomper une partie de nos richesses sans trop investir.
Par contre, ils font tout pour empêcher l’émergence d’un véritable patronat algérien. Le bachagha Ouyahia a toujours su servir leurs intérêts en encourageant leur implantation et leur main mise sur des secteurs stratégiques et rentables. Les français savent aussi intervenir avec des prête-noms algériens et arabes qu’ils rachèteront le moment voulu. Ce n’est certainement pas un hasard si l’installation de certains groupes arabes a été menée par des directeurs français, dont la plupart agissent sous couvert d’officines ou de lobbies.
Les méfaits économiques anti-algériens du bachagha Ouyahia sont connus. Son retour en mai 2003 a constitué pour les français un double coup de maître. D’une part, il leur fallait à tout prix barrer la route de la présidence à Ali Benflis, qui aurait donné une image moderniste et démocratique contagieuse pour le monde arabo-africain. D’autre part, Ouyahia avait pour mission de liquider complètement le groupe Khalifa, alors qu’une solution nationaliste réfléchie aurait été de le nationaliser ou d’organiser sa reprise en main. On se rappelle que les contestations et les manifestations contre un démantèlement du groupe ont vite été étouffées. Les français ne voulaient pas voir le secteur bancaire algérien échapper à leur domination. La réussite fulgurante de Khalifa Bank, portée par des appuis en haut lieu et un management rajeuni, avait fait des émules qui les contrariaient en créant un précédent au Maghreb.
Les français avaient aussi été outrés de voir Khalifa entrer dans le capital de la Société Générale après avoir racheté au prix fort les parts que détenaient l’ex-ministre du budget Ali Benouari, le facilitateur qui avait piloté l’installation de la banque dans un contexte très difficile. A ce jour, on ne sait pas qui détient ces parts que la SocGen voulait à tout prix récupérer. Alors qu’une simple logique de souveraineté économique commande à l’Etat algérien d’avoir un droit de regard d’actionnaire dans tous les conseils d’administration des banques étrangères.
Le liquidateur Ouyahia s’est donc non seulement chargé de détruire Khalifa Bank, mais également toutes les banques privées à capitaux algériens. Elles ont toutes été dissoutes, ne pouvant plus franchir toutes les barrières insurmontables mises en place par Ouyahia. C’est ainsi que toutes les autres tentatives de créer une banque par des groupes algériens publics et privés (Sonatrach, Cevital,…) ont vite été découragées.
Les banques arabes et étrangères ayant une présence symbolique et marginale, le terrain est libre pour une domination exclusive des banques françaises qui a failli devenir décisive avec la privatisation du CPA. C’est grâce à la «vigilance stratégique» de Fatiha Mentouri, ex-ministre déléguée à la réforme financière, que l’opération a été avortée. Elle avait subtilement brouillé les cartes en y mélangeant la crise américaine des subprimes qui n’avait pas grand-chose à voir, mais qui a suffi à faire peur à des décideurs ignorants. Elle vient de payer son patriotisme en étant éjectée de son poste.
Le fait est que le système bancaire algérien se retrouve paralysé, incapable de gérer et de réinjecter dans l’économie la manne pétrolière. Les banques publiques ont un management attardé et il n’y a ni banques privées, ni fonds d’investissement, ni capital risque, ni sociétés de placement, ni marché financier, ni bourse … De simples opérations de crédit auto, ou de crédit consommation comme l’opération Ousratic n’ont pas pu être gérées par un système financier archaïque. Alors que dire du crédit à l’investissement réservé à une poignée de privilégiés au détriment de milliers d’investisseurs potentiels laissés sur le carreau qui ont abandonné leurs projets après des mois et des années de négociations inutiles.
Par ailleurs, le développement rapide de la compagnie aérienne Khalifa Airways a été également vu par les français comme un danger. En désenclavant de nombreuses régions d’Algérie et en ouvrant des dessertes partout dans le monde, Khalifa sortait les algériens de leur isolement et de l’embargo qu’on leur imposait. Il prévoyait aussi le lancement de vols charters et le low cost que les français veulent freiner en Algérie pour entraver le développement du tourisme. Air France a d’ailleurs lancé ses vols à prix réduits à 50€ vers le Maroc et la Tunisie… mais par vers l’Algérie. Le monopole d’Air Algérie et le refus de délivrer des agréments aux compagnies privées maintiennent le pays à la traîne du développement touristique. En discourant sur la sortie de la dépendance pétrolière, Ouyahia continue à prendre les algériens pour des amnésiques et des imbéciles.
Les officines françaises avaient commencé à s’affoler lorsque Khalifa avait sponsorisé l’OM et le club de rugby de Bègles, et surtout créé sa chaîne de télévision. Il donnait de l’algérien une image de prospérité moderniste et festive qui contrastait avec l’image du terroriste sanguinaire que distillaient quotidiennement les médias français. C’est à ce moment que les premières attaques anti-Khalifa, ouvertement inspirées par la DGSE, sont parues dans la presse française, avant de confier au bachagha Ouyahia la mission de «détruire l’image Khalifa». Les détournements et la corruption sont une réalité nationale et une responsabilité collective qui ont caché les véritables raisons de la destruction du mythe Khalifa.
Le bachagha Ouyahia a déjà fait savoir à la presse qu’il «représenterait l’Algérie» à la rencontre fondatrice de l’UPM du 13 juillet et qu’il se mettra au garde-à-vous au défilé militaire du 14 juillet. Il n’a aucun état d’âme ni aucun scrupule à faire cette insulte à notre Histoire, ni à faire allégeance au lobby sioniste.
Plus que la maladie et la mise à l’écart de Bouteflika, le retour d’Ouyahia prouve aussi que le Makhzen du DRS, qui impulse la vie politique du pays depuis 18 ans, est lui aussi très malade et a atteint ses limites. Rappeler pour la troisième fois le même homme à la tête du gouvernement relève du rachitisme politique.
A force de censurer, réprimer, marginaliser, contraindre à l’exil tout opposant, le pouvoir ne s’est laissé aucune marge de manœuvre. Il traîne tout le pays dans la décadence et le prépare à une nouvelle colonisabilité qu’on finira tous par souhaiter et accepter comme une délivrance. Le suicide collectif des haragas qui se jettent à la mer pour rejoindre la métropole en est un signe annonciateur.
Saâd Lounès