Le récent accord algéro-marocain sur le transit et l’échange d’électricité vient d’apporter deux réponses à la question de la fermeture des frontières terrestres.
La première est que le gouvernement algérien est favorable à la coopération et l’entraide économique avec le Maroc. La deuxième réponse est que l’électricité comme le gaz sont les seuls produits que les réseaux de contrebande ne peuvent s’accaparer. Ils sont donc autorisés à traverser légalement la frontière. Tout le reste des produits qui traversent illégalement la frontière (drogues, carburant, produits alimentaires, médicaments, …) sont gérés par des circuits de contrebande tombés au fil du temps sous le contrôle direct des généraux du système makhzénien du DRS. Le monopole de la contrebande leur rapporte des gains de plus d’un milliard de dollars par an uniquement pour le hachich. Ils ne veulent donc pas partager cette source de gain facile avec des réseaux concurrents que l’ouverture des frontières va faciliter. C’est donc bien le monopole des véritables barons algériens du trafic de drogue qui bloque la décision d’ouverture malgré l’appel fraternel pressant et répété du gouvernement marocain.
On savait tous que la contrebande frontalière était couverte par les corps constitués qui fermaient les yeux en échange de commissions plus ou moins grosses selon les grades. Mais depuis la reddition en juillet 2006 du «baron» Ahmed Zendjabil, surnommé le «Pablo Escobar» algérien, on a apprit avec stupeur que ce n’était qu’un homme de paille. Alors que la frontière a été fermée en août 94 sur décision du DRS, Zendjabil a été remis en selle en 1997 pour organiser les réseaux de clientèle en Europe avant ceux du transit algérien. C’est l’ex-Chef de sûreté d’Oran qui a affirmé «avoir délivré un passeport à Zendjabil en 1997 sur ordre du DRS dont il était un indicateur» (El Watan du 23-10-2006).
Auparavant, Zendjabil était connu de la police comme un acteur du fameux réseau Taïwan des véhicules volés en Europe et recyclés en Algérie avec de vraies-fausses cartes grises. Ce trafic de voitures Taïwan était en fait une idée diabolique du DRS pour compromettre les membres des corps constitués, des magistrats, des fonctionnaires… C’est une méthode connue des services secrets de salir le casier judiciaire pour décrédibiliser par anticipation des éléments jugés peu fiables selon les normes maffieuses du pouvoir. Habib Souaïdia, l’officier auteur du livre
La Sale Guerre, a été, comme certains de ses collègues du bataillon des forces spéciales de Lakhdaria, une des victimes de ce coup monté.
Ahmed Zendjabil a causé un séisme à l’échelle des autorités algéro-marocaines en se rendant à la police de
Blida et en demandant à bénéficier de l’amnistie prévue par
la Charte de réconciliation nationale. Il a surtout déjoué le scénario de son élimination avec de grosses manchettes à la une des journaux.
Aussitôt son arrestation rendue publique, la presse a vite pris la mesure de l’ampleur du scandale en croyant découvrir une nouvelle affaire Khalifa qui fera vendre les journaux. Elle a vite été rappelée à l’ordre pour oublier le nom de Zendjabil et tout ce qu’il représente.
«Les officiers de police qui avaient déclenché des enquêtes sur la base de ses aveux ont été sommés de cesser toute investigation…. Un colonel du DRS, qui enquêtait sur le trafic de drogue à Oran avait été mis aux arrêts par le chef de la 2ème région militaire» (El Watan du 23-10-2006).
Le général Kamel Abderrahmane, ex-directeur central de la sécurité de l’armée (DCSA) et commandant de la 2ème région, a été publiquement mis en cause par l’ex-wali d’Oran Bachir Frik au cours de l’audience de son procès qui l’a condamné à 8 ans de prison.
Aujourd’hui, Zendjabil croupit dans l’isolement d’une prison secrète du DRS. Au même titre que Hassen Hatab ou Abderrezk El para, il détient des secrets sur l’implication directe du DRS comme commanditaire du terrorisme qui a ensanglanté le pays. Zendjabil a avoué que sur ordre de ses officiers traitants, il servait d’agent de liaison avec des groupes terroristes pour les financer et leur livrer armes et munitions transitant par le Maroc. Il leur dictait aussi des cibles à abattre ou à terroriser.
Les relations de Zendjabil avec l’establishment marocain ne pouvaient qu’être couverte par la hiérarchie militaire algérienne du renseignement puisqu’elles remontaient jusqu’au général Hamidou Lâanigri, ex-DGSN marocain tombé en disgrâce depuis. L’arrestation de Zendjabil a aussitôt fait tomber le réseau de ses fournisseurs marocains. Notamment Cherif Benlouidene, alias Kharaz, qui connaissait tous les secrets de son client et ami. Sa chute a entraîné celles de ses complices hauts gradés dans la gendarmerie royale, la police et la douane. Le roi du Maroc ne transige pas avec ce genre d’organisation maffieuse qui peut se développer en contre-pouvoir puissant dans le style colombien.
En Algérie, seuls quelques lampistes ont été arrêtés alors qu’ils avaient reçu des ordres et des commissions pour laisser Zendjabil utiliser à sa guise le port d’Oran sans que ses véhicules bourrés de drogue ne soient fouillés.
Deux ans après l’arrestation de Zendjabi, on ne sait pas qui l’a remplacé pour servir de faire-valoir, mais on sait que le trafic de drogue n’a pas cessé et que le monopole a été renforcé par le durcissement des contraintes imposées aux petits concurrents. Des hauts gradés continuent de contrôler le trafic de drogue et laissent leurs subordonnés racketter les petits «hallabs» qui utilisent des mulets pour transporter toutes sortes de marchandises. Comme l’axe Oujda-Maghnia est plus encombré et surveillé, les contrebandiers descendent jusqu’à l’axe Figuig-Bechar.
Pour satisfaire leur appât du gain facile, certains généraux n’ont aucun scrupule à sacrifier les populations frontalières. On ne sait pas ce que ça coûte du côté algérien. Personne ne s’est jamais intéressé à mesurer les conséquences de la fermeture des frontières. Mais la région est du Maroc, surnommée l’Oriental, souffre du mur algérien.
A Oujda, le Chambre du Commerce a fait une étude sur l’apport du secteur informel de la contrebande hors trafic de drogue. Le chiffre d’affaires annuel a été estimé en 2004 à 6 milliard de dirhams (environ 500 millions $). Le nombre de personnes employées était de 6000, essentiellement des jeunes. Le «blocage» de 2 à 3 millions de touristes algériens enlève au Maroc un apport de 2 à 3 milliards de dollars par an. Ce blocage empêche aussi la création de plus de 1000 PME/PMI devant générer plus de 30.000 emplois uniquement dans la région d’Oujda. Alors qu’ils s’implantent partout au Maroc, les investisseurs étrangers, surtout français, évitent l’Oriental à cause de sa proximité avec l’Algérie assimilée à un horrible épouvantail.
Depuis sa création en 994, Oujda la «cité martyre», comme la nomment les historiens, était le point de passage obligé des caravaniers. Les sultans de Fès et Tlemcen se la disputèrent. Elle symbolise aujourd’hui le martyre de la désunion des peuples du grand
Maghreb.
Oujda est condamnée à vivre avec les algériens. Elle a enfanté Bouteflika qui l’a oubliée et ne songe qu’à mourir au pouvoir à Alger, alors qu’il n’a jamais pensé à revenir dans sa ville natale avec l’habit et les honneurs de président.
Oujda a aussi enfanté le clan d’Oujda qui a renversé le GPRA de Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda pour prendre le pouvoir en 1962. C’est aussi à Oujda qu’a été formée la première promotion Larbi Ben M’Hidi des «marocains du MALG» qui ont structuré les services secrets algériens qui se sont transformés en Makhzen autour du DRS.
En soutenant la nomination par le président Chadli de Mohamed Mediene, dit Toufik, à la tête du DRS en 1990, le général Larbi Belkheir a en fait placé un virus mortel dans le cerveau de l’ANP. Comme sous l’emprise d’un sida ou d’un cancer, l’ANP, est devenue comme l’Algérie, un grand corps malade incapable de se débarrasser de ses membres corrompus qui souillent son honneur, salissent ses nobles missions et la discréditent aux yeux de la population.
Le Makhzen du DRS ne s’est pas contenté de nommer les présidents, les ministres, les ambassadeurs et les attachés militaires. Il a aussi placé des officiers du DRS à la tête des régions militaires. Cette totale anomalie organisationnelle a donné au DRS les pleins pouvoirs et soumis tous les autres officiers de l’ANP sous son autorité.
Cette grave décadence du pouvoir totalitaire du DRS a engendré la démobilisation politique, la désobéissance civile, la désintégration sociale, la fuite des cerveaux, le phénomène des harragas, la faillite du secteur et du service public, la destruction du tissu économique frontalier, la spoliation de nos richesses, etc …
La décadence du pouvoir algérien a considérablement affaibli l’Algérie et met dans la gêne ses voisins du Maghreb et du Sahel. Il devient de plus en plus urgent d’isoler le virus et de l’éradiquer.
Par Saâd Lounès