20 juillet, 2008
Le camouflage identitaire, un non-être
La camouflage consiste à modifier son apparence dans l’objectif de tromper ; tromper pour se protéger ou bien pour induire l’autre en erreur. Chez les humains, le camouflage peut aussi être l’expression d’un défaut de définition de soi. On ne sait pas trop qui l’on est alors on adopte des identités différentes, que certains qualifieront d’instabilité et dans laquelle je préfère voir un jeu de miroirs.
Si le jeu est conscient et dénué de malveillance, il ne fait de mal à personne ; au contraire, on peut s’y associer et rire avec l’acteur-l’actrice. Si le jeu a pour objectif conscient de dérouter, d’induire une appréciation fausse du réel, alors il devient une violence et les « spectateurs » doivent s’y intéresser de plus près.
Qu’une personne change de nom, de prénom, de look, de confession, de compagne-compagnon … pour son propre plaisir ou confort, ça relève de sa liberté et personne n’a à en redire. Qu’elle modifie son identité dans sa relation aux autres, qu’elle prenne une apparence qui met les autres dans l’obligation de s’interroger sur le sens de cette modification, ne serait-ce que pour pouvoir s’y adapter, en fait l’affaire des autres aussi.
Ce préambule pour introduire mon sujet : le commentaire de Paul Mohand (PM par la suite, Mohand étant l’équivalent berbère de l’arabe Mohammed) du 17 juillet 08 en réaction à l’article d’Elmouhtarem « Louisa Hanoune (Louisa par la suite) insulte Ferhat Mehenni » du même jour. Je précise que je réagis à ce que j’ai lu, sans prendre partie pour personne, ne connaissant ni l’un ni l’autre ni le troisième.
Je constate en premier lieu que l’obscénité du langage employé par PM ne fait pas l’objet d’une expression ferme et soutenue de désaccord ; les commentateurs passent vite à l’essentiel : se jeter à la figure des fleurs parfois épineuses et se (dé)battre sur les qualités et défauts des héros du jour : Louisa et Ferhat, Ferhat et Louisa si vous préférez.
Le langage employé par PM mérite pourtant que l’on s’y attarde (vous le trouverez sur le blog). Peut-être ce blog est-il réservé à des jeunes garçons un peu turbulents et que j’y fais figure d’intruse … Le fait est que, non avertie de cette disposition éventuelle, j’y ai accès et le contenu du commentaire en question me semble hallucinant ; on ne s’exprime pas de cette façon en public. Sans compter que, en faisant usage d’obscénité sur ce blog, PM porte atteinte à la fois à Elmouhtarem (béni soit ce pseudo en l’occurrence !) qui exclut explicitement l’injure de son blog, et à toutes les femmes dont sa mère, sa soeur, sa fille plus tard.
Je m’interroge donc : qu’est-ce qui rend possible un tel écart de langage dans un espace ouvert au monde entier ?
J’ai beau chercher, je ne trouve qu’une réponse : c’est possible quand on se bouche les oreilles intérieures et qu’on ferme les yeux sur ce que l’on fait. En clair : c’est possible quand personne ne sait d’où ça vient, comme cela se passe dans une classe quand un élève lance un propos quelconque à haute voix ou un objet pour embêter l’enseignant ou un camarade sans qu’il soit possible de l’identifier. Comme un jeune enfant qui, se cachant à lui-même derrière ses toutes petites mains, il vous crie « cherche-moi ! ». Nous y voilà : sans être identifié ; en étant camouflé.
Reste à trouver la nature du camouflage … Je cherche encore et ne trouve qu’un réponse : le pseudo pseudo.
Sauf qu’il ne faut pas faire de confusion : un pseudo vous identifie aussi qui vous attribue une identité choisie délibérément pour vous présenter à un public indéfini dans l’objectif mais de préserver sa vie privée. Le camouflage, lui, trompe.
Dans le cas de Paul Mohand (il n’est pas question ici d’entrer dans la controverse sur la conversion, il s’agit ici de langage), il y a de quoi cligner des yeux (pour voir ou ne pas voir, c’est à voir). Si je ne veux pas voir, je ne verrai rien et PM ne m’intéressera pas plus que Louisa, Ferhat ou Robert. Mais je m’intéresse à ce que je lis et je ne peux pas rester indifférente à Paul Mohand. Pourquoi ? Parce que …
Soit c’est Paul et il ne peut pas s’exprimer de façon aussi outrageuse ; soit c’est Mohand et il ne le fera pas plus. C’est ainsi : Paul ne se le permettrait pas du fait qu’il est en territoire étranger pour lui et Mohand ne se le permettrait pas pour la raison exactement inverse : il est sur son territoire et le territoire et communautaire. Paul Mohand est donc un camouflage nécessaire pour n’être ni l’un ni l’autre et pouvoir ainsi commettre une faute grave en toute sécurité. Personne ne peut le reprendre ni sur une question de morale ni sur une question de territorialité.
Supposons tout de même que PM soit une identité civile authentique. Elle pose aussi un problème au porteur du prénom. Dans le cas d’une conversion, ou bien elle est sincère et on choisit forcément le prénom que l’on associe à la nouvelle pratique dans laquelle on s’engage (ce sera Paul OU Mohand), ou bien la conversion a été acquise à prix coûtant et qu’au fond on s’en moque bien. A 5000€ la conversion, je me convertis tour à tour à deux religions ennemies tous les mois (plus, je ne sais pas si je supporterais …) et je m’en remettrais à Dieu pour faire ses comptes à lui entre les bons et les méchants.
Ce camouflage identitaire est donc bien commode pour s’autoriser des propos obscènes en public. Reconnaissons cependant que 1/ qui ne dit mot consent ; 2/ le phénomène de l’obscénité est une pratique nationale et bien plus encore.
Parlant de l’Algérie (le blog est algérien), considérons ces quelques camouflages et interrogeons-nous sur la nature de la terre mystérieuse nommée Algérie qui s’y cache. Cette terre appartient-elle aux résidents ou bien n’est-elle qu’une résidence surveillée ? Est-elle république ou monarchie, démocratie ou dictature, état souverain ou zone franche ; au début, en cours de ou en fin d’élaboration ?
Dans la vie publique, les amalgames faits entre des notions libératrices (république, justice …) et des pratiques « stupéfiantes » (est-il nécessaire d’en citer ?) constituent une orgie d’obscénités à l’adresse des algériens (sans que l’on puisse affirmer catégoriquement que ces obscénités soient délibérées). C’est ce « terrain vague » de la pensée qui rend possible les propos tenus pas PM sur le blog. C’est cela aussi qui rend possible que des avocats évoquent la puissance divine comme argument de défense de leurs clients qu’ils déclarent n’avoir aucune responsabilité dans les conditions de construction des immeubles détruits lors du séisme à Boumerdés (Elmouhtarem 19 juillet 08). Quel pays peut en même temps se targuer d’indépendance et produire de tels énergumènes ? Quel pays peut s’affirmer œuvrer « pour et par le peuple » tout en produisant des fuites incessantes vers l’étranger ? Et l’UPM là-dedans, encore un faux-semblant ? Pour masquer quoi ? A qui ? Trompé par son titre royal, le roi est seul à ne pas savoir qu’il est nu.
Dans la vie privée, les algériens se souviennent-ils que d’autres algériens sont morts, beaucoup sous la torture, il n’y a pas si longtemps, pour que eux vivent libres ? Parmi eux, ceux qui savent et tournent pudiquement leur regard sont-ils moins aveugles que le roi ? Ou bien le camouflage est-il déjà trop épais, les habitudes de confort trop profondes pour faire sursauter camouflés et camouflants …
A force de ne s’intéresser qu’aux choses « sérieuses », on finit par ne plus voir le détail qui fait vrai … Ceci n’est pas vrai seulement pour l’Algérie.
Par Wi Yilan’