Lettre ouverte à M. Sadali (citations suivies de commentaires) à partir du texte paru dans le forum « Les débats » d’Elmouhtarem « Les 4ème rencontre sur les droits de l’homme et la démocratie en Méditerranée », fin juin.
« Ces rencontres ont pour objet de constituer, à partir des fondations politiques actives dans la région méditerranéenne, un réseau consacré à la problématique des droits de l’homme et la démocratie, question d’une urgence absolue dans cette région, et source de nombreuses incompréhensions et crispations entre les deux rives. »
Je me demande si, avant d’aborder la problématique des droits de l’homme et (de ?) la démocratie dans la zone méditerranéenne, il ne faudrait pas commencer par résoudre les incompréhensions et les crispations dues à des différences de sensibilité incompressibles entre les partenaires consentants déjà.
Mon expérience de la pratique démocratique en France me rend sceptique : les échanges qualifiés de « démocratiques » semblent se résumer dans l’esprit des gens du nord à l’exposé de LEURS points de vue à eux. Sans commentaires de la part des autres de préférence.
Evidemment, sans informations plus précises sur la nature des crispations ou de la problématique en question, il est difficile de donner des arguments objectifs en illustration de mes propos. Je sais juste que, et je le regrette beaucoup, j’ai moi-même abandonné tout espoir de rencontrer des démocrates véritables et ai cessé toute activité associative pour cette raison.
« C’est donc un angle essentiel pour s’attaquer au fossé, qui ne cesse de se creuser depuis des décennies, et tout particulièrement depuis le nouvel interventionnisme occidental dans la région, qui a suivi la crise de 2001. »
Si le fossé se creuse, c’est que le fond n’est pas stable et que les bords ne peuvent pas se rencontrer dans l’état. Il faudra beaucoup de liberté d’esprit et d’esprit critique libre pour pouvoir aménager le terrain relationnel de telle sorte que la rencontre ait lieu. Pour cela, il faudra aux démocrates de tous les côtés qu’ils fassent une franche autocritique sur leur mode de fonctionnement. Autrement, ils ne peuvent pas légitimement attendre de la masse qu’elle s’engouffre dans un passage qui n’existe pas.
« … et qu’il ne peut y avoir d’opposition entre les droits politiques et les droits économiques. » Donc exit le capitalisme ? Lequel ? L’objectif ou bien le subjectif ? Je vous prédis de beaux jours de… bataille pour parvenir à modifier l’état d’esprit régnant. Mais je veux bien y prendre part s’il y a de la place pour une critique ouverte, sans chichi ni salamalek.
« Vu que les droits de l’homme ont régressé au nord comme au sud, il faudra avoir comme objectif la construction d’une société démocratique où s’impliquent et participent les citoyens à la vie de la société. »
Vous parlez de »société » comme d’un ensemble cohérent, défini, fini. Vous savez sans doute qu’il n’en est rien et que cette notion de « société » dans l’absolu ne mènera personne nulle part. Cette façon de voir les choses exprime une vision idéaliste du monde, vision à l’origine même de l’expansion de l’Europe. Expansion qui s’est concrétisée dans la colonisation et l’exploitation des sociétés acquises dans la violation des principes mêmes de cet humanisme qui a fait croire aux idéalistes qu’ils pouvaient transposer leurs modes de vie où qu’ils aillent, y compris en traitant l’autre comme un objet. De grâce, qu’on ne donne pas à l’expansion un visage nouveau sous le couvert honorable des droits de l’homme, et avec la participation active et bénévole de ceux du Sud en plus !
Ainsi, « Les participants ont relevé les obstacles rencontrés pour appliquer les mêmes standards aux pays du sud … »
Vous voyez, vous y êtes ! Vous voulez appliquer les »mêmes standards ». Vous voulez faire entrer une tarte dans un moule à cake ! J’ai un peu peur que les bonnes volontés du Sud se montrent encore très naïves et fassent en définitive le lit de l’échec de leurs actions. Car cette affirmation comporte un risque identique à celui de la méga industrie agro-alimentaire, du tabac, de l’armement… qui, vous le savez sans doute, s’est fardée d’humanisme pour encore retirer des profits de leurs excédants en les vendant à des prix hyper-compétitifs aux pays du Sud. Cadeau empoisonné qui a ruiné les Africains, condamnant tout espoir d’accéder à ce que cette… manne prétendait apporter : le développement, donc la paix et la démocratie. Manne devant laquelle de nombreux dirigeants africains se sont inclinés avec empressement en échange d’une protection « inconditionnelle » de leurs amis du Nord. Dans ce sens, les propos de Jaques Chirac me semblent correspondre, hélas, à la réalité : des Africains se sont vendus, au sens économique, stratégique et politique et non moral, pour des miroirs aux alouettes. Ils sont seuls responsables de leurs choix.
Quant à la démocratie, cela ne se donne ni ne s’acquiert; cela se pratique. Ça n’est pas sorcier mais c’est exigeant et ça se nourrit avec des matériaux de proximité, pas avec des discours. Les grandes démocraties sont loin d’assurer le bien-être des leurs, l’esprit de solidarité … Même l’éducation des jeunes, ne parlons pas de l’intégration sociale et économique des plus démunis ou des désocialisés, n’y est pas au point. N’essayons donc pas de faire « comme » eux en appliquant des standards qui ne fonctionnent pas. Faisons ensemble autrement.
Par Saida Bari