JA: Le pouvoir est donc fort, aussi, de vos faiblesses ?
HAA: Sans doute. On occupe les Algériens du matin au soir avec les problèmes de pénuries et de ravitaillement. C’est la politique du couffin quotidien, de la grande débrouille, de la carotte et du bâillon. La seule mobilisation tolérée, c’est celle-là, celle de la vie. Et puis la bureaucratie a enserré et étouffé la société dans ses innombrables tentacules. Le Léviathan, ou plutôt, le Thalafsa, ce dragon à sept ventres de l’imaginaire berbère, s’est assoupi sur le bonheur du peuple…
Mon pays souffre d’une étrange maladie : l’algériasclérose. Ses symptômes ne trompent pas –mal d’être, mal de vivre, tristesse, frustration et soumission, perte des valeurs de solidarité et de courage.
Les rapports sociaux, même au niveau familial, sont entachés d’égoïsme. L’application généralisée des principes pavloviens, les queues, le système D ont laissé des traces. C’est chacun pour soi, chacun son tour. L’algéraisclérose, c’est le manque d’oxygène dans le corps politique, le flux sanguin bloqué par les féodalités claniques, le surdéveloppement de la machine bureaucratiques, la quête pathologique d’identité due à l’amputation d’un poumon – la culture berbère-, l’autre poumon, la culture arabe, étant rabougri parce que privé d’échanges vitaux avec la science et la pédagogie. C’est le vieillissement d’une société dont la population est l’une des plus jeunes du monde et à qui pour tout remède, on offre les béquilles du parti unique.
Nietzsche disait : «Docteur, commence par te soigner toi-même » Pour guérir le peuple algérien, il faut donc commencer par lui rendre sa souveraineté, c’est-à-dire l’exercice quotidien de sa liberté.