Hocine Aït-Ahmed: « Il s’agit d’être clair sur les combats à mener aujourd’hui »*
Cinquantième anniversaire de la création du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA)
Conférence débat animée par Abdelhamid MEHRI et Daho DJERBAL 19 septembre 2008- au siège national du FFS à Alger
Contribution de Hocine AIT AHMED
Un anniversaire, c’est aussi un moment de retrouvailles. Non seulement retrouvailles entre compagnons de lutte, camarades et amis, mais également un moment où…se rappelant un évènement et le célébrant, on remet sur la table les rêves, les valeurs, les principes qui ont conduit à sa fondation. Les rêves, les valeurs et les principes qui ont conduit à la proclamation du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, GPRA.
Nous avons non seulement le devoir, de les rappeler – afin que nul n’oublie, mais nous avons aussi le devoir de les confronter aux réalités d’aujourd’hui, de voir ce que ces rêves, ces valeurs et ces principes sont devenus… afin que là aussi, nul n’oublie !
Ce que je vais vous dire aujourd’hui, j’ai déjà eu à l’écrire – en son temps – à mes camarades du CCE (Comité central élargi), la direction révolutionnaire de l’époque, dans un rapport que j’ai ultérieurement publié dans Guerre et Après Guerre :
«La constitution du GPRA a été – dans le cadre de la révolution – la réalisation du rêve de plusieurs générations d’Algériens : le rétablissement de la Dawla, de l’Etat. »
L’Algérie a été voulue par les Algériens comme un Etat représentant, incarnant, défendant les intérêts d’un peuple. Ceci est important à rappeler aujourd’hui.
Face aux oligarchies de toutes obédiences, face aux clans et autres regroupements infra-politiques ou para-politiques qui squattent l’espace public en privatisant l’Etat, spoliant le peuple, défigurant la société et la déstructurant.
Quelle question se pose aujourd’hui ? Est-ce que l’Etat voulu par des générations d’Algériens, par ce peuple qui a tant payé pour atteindre cet objectif est aujourd’hui bien incarné par le régime en place ?
Pour pouvoir répondre à cette question, il faut peut-être en poser une autre : Est-ce que les nouvelles générations, les Algériennes et les Algériens qui sont nés dans cet Etat, l’Algérie ; l’Etat algérien, dont ont rêvé les générations précédentes ; cet Etat qui a été gagné de haute lutte grâce à la révolution, est-ce que les jeunes d’aujourd’hui considèrent cet Etat comme le leur ? Ou bien le régime en place l’a-t-il à ce point éloigné de ses missions originelles, c’est-à-dire incarner, représenter et défendre les intérêts du peuple dans la diversité de ses composantes qu’il en a résulté un recul désastreux auprès de notre population et notamment des jeunes dont la colère contre le régime, se transforme en rejet de l’Etat ?
Quand on entend des responsables faire officiellement des procès en patriotisme à notre jeunesse, nous avons le devoir de leur rappeler, d’une part, quels étaient les principes fondateurs de l’Etat algérien et d’autre part, combien ils les ont bafoué !!
Et combien ils continuent quotidiennement de les bafouer !!
2e rappel toujours tiré du rapport au CCE : «La constitution d’un gouvernement est avant tout un acte politique devant par conséquent répondre à des impératifs d’ordre politique. Elle ne peut être conçue à partir de simples évocations historiques ou juridiques »
Parmi les raisons multiples qui ont conduit à la proclamation du GPRA il est nécessaire de rappeler la protection et le respect des droits de l’Homme. Dans notre souci politique, le GPRA avait l’ambition de faire appliquer les conventions de Genève, pour protéger notre population et nos combattants, pour interdire les bombardements de villages, pour interdire la prise d’otages et les représailles collectives, pour le respect du soldat… pour sauver nos jeunes de la guillotine, nos cadres de l’assassinat…
Qu’en est-il aujourd’hui de ces droits de l’Homme ? De ce souci de protéger notre population, nos jeunes, nos cadres et nos…soldats empêtrés dans la sale guerre ? Qu’en est-il aujourd’hui du droit à l’autodétermination du peuple algérien, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?
On ne peut – par ailleurs – absolument pas évoquer la création du GPRA sans rappeler le Congrès de la Soummam, Congrès sans lequel la dynamique de l’unification des forces nationales n’aurait pas eu progressivement et rapidement la visibilité nécessaire à sa crédibilité ! Le GPRA s’est aussi inscrit dans ce souci de visibilité.
Bien sûr, cette date du 19 septembre avec la célébration du GPRA amène à l’esprit toutes les luttes, les souffrances et les sacrifices consentis par le peuple algérien, par les femmes et les hommes qui le composent. Par respect pour la mémoire de ceux qui ne sont plus, par devoir envers les nouvelles générations et celles qui sont appelées à venir, il est peut-être vital, essentiel de rappeler le pourquoi et le comment du combat pour l’indépendance algérienne.
Car il reste encore beaucoup de chemin à faire…
Pour que l’Etat soit de nouveau l’incarnation des rêves d’un peuple et le garant de la défense de ses intérêts… Pour qu’il ne soit plus ce cauchemar qui fait fuir par milliers nos jeunes. Et les moins jeunes… Il est utile, voire vital de préciser certaines choses. Chaque lutte renvoie au contexte historique et à l’environnement international qui sont les siens. Il s’agit d’être clair sur les combats à mener aujourd’hui.
L’Etat d’aujourd’hui n’est pas à confondre avec l’Etat colonial. Mais il s’agit également d’avoir la lucidité de voir que l’Etat algérien d’aujourd’hui confisqué par une caste prédatrice ne répond plus aux aspirations du peuple et de la société. Aux attentes de tous les Algériens et de toutes les Algériennes dans la diversité de leurs aspirations à la liberté et à la dignité.
Faire œuvre utile en politique aujourd’hui c’est aussi expliquer en quoi l’Histoire, la nôtre, s’est appuyée sur l’esprit millénaire de résistance qui caractérise cette terre.
Cette Histoire, pour se faire, s’est également appuyée sur les instruments de la modernité universelle.
L’Etat moderne est un Etat au service d’un peuple dont il garantit la liberté, le développement et la sécurité et en retour, le peuple est le garant de la pérennité de cet Etat, quand ce dernier repose sur la liberté de la société et des individus qui la composent.
Au moment de célébrer les espoirs soulevés par les victoires du passé, au moment d’évoquer, comme ce soir, les victoires sur le colonialisme, il ne faut surtout pas, en ces temps si durs pour notre peuple, il ne faut surtout pas oublier qu’avant de triompher du colonialisme, nous avions d’abord triomphé des limites qu’il était parvenu à imposer à notre audace autant qu’à notre action.
La création du GPRA a été la concrétisation la plus politique et la plus manifeste de cette double victoire sur le colonialisme et sur nos propres limites. Le coup de force contre le GPRA a de ce fait consacré une terrible régression: il demeure non seulement le témoignage d’une illégitimité originelle. Mais il a aussi installé – pour ne pas dire réinstallé – la force brute comme seul mode de gestion de notre société. (FIN)
*Titre tiré du texte par El Mouhtarem
Photo Corbis: 13 décembre 1996
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