A l’heure où nous commémorons le cinquantenaire de la proclamation du GPRA, nous aurions sans doute aimé que ce premier pas vers la restauration de l’Etat algérien soit aussi, l’occasion d’une célébration en fanfare de la «souveraineté populaire» arrivant à l’âge mûr !! Et peut-être l’occasion historique que la jeune et nouvelle génération native de cet Etat, puisse reprendre en toute humilité mais avec fierté le flambeau d’un incommensurable sacrifice collectif de plusieurs générations au service de la nation…
En effet, cette date sensiblement historique avec toutes ses implications symboliques, marque un «un grand tournant » (si ce n’est le plus grand) dans la conscience politique et l’éveil civilisationnel de tout un peuple… Car, il s’agit pour nous (génération post-indépendance), l’incarnation même du génie de toute une lignée d’hommes et de femmes, initiatrice des grands principes de novembre 1954 et qui présageaient à l’horizon une «souveraineté» sans faille…!
Aujourd’hui, nous sommes à un moment crucial de l’histoire de notre pays: il est urgent que l’on s’interroge non seulement sur ce passé glorieux mais aussi qu’en est-il du devenir de notre jeune nation ? Où en sommes nous avec l’exercice des libertés promises ? Le rapport de nos gouvernants aux gouvernés, la légitimité des premiers face au choix souverain des seconds ?? Pourquoi tant de mal à se mettre debout sans qu’une partie du corps ne crie sa propre douleur, ses blessures, ses plaies ? Pourquoi tant d’âmes n’arrivent plus à contenir leurs pulsions en se jetant dans des embarcations de fortunes pour «fuir» et encore «fuir» !? Peut-être pour une probable «vie», où purger son désarroi et son mal-être mais aussi avec la certitude que la chance de survivre est égale à quasi-zéro !
Pourtant, cette même génération aurait dû et/ou, pu être, celle par laquelle devrait se préfigurer l’avenir d’une Algérie meurtrie au présent ! En tous cas, inutile de dérouler des kilomètres de discours, d’analyses, ou de chroniques spécialisées pour nous rendre compte de l’extrême gravité du «syndrome» qui mine les ressorts mêmes de notre société à tous les niveaux… De l’étouffement politique à la foudre de la «mélancolie du lien social» (comme l’illustrent les plus récentes émeutes à Berriane et dans d’autres coins du pays), on peut dire que rien et plus rien ne peut contenir les effets de désillusions successives, d’un peuple en désaffection pathologique avec ses gouvernants…
Bien sûr, ce qui nous importe ici est, moins la description du régime politique – ‘‘cher’’ à ses gouvernants – dans sa forme juridique (Démocratique, autocratique…etc.), que son fonctionnement pratique. Aujourd’hui, le fossé ne cesse de s’élargir entre le droit et le fait, entre la lettre et l’esprit, entre les textes et l’application. Bref, Mesurer ce fossé ou tenter juste de se le représenter dans ses moindres détails, donnera à chacun de nous et de façon certaine ses ‘‘dernières vertiges’’ avant l’ultime ‘‘souffle’’…!!
Evidemment, qu’il n’est pas difficile pour nous d’admettre que, de par le monde il existe, en effet, des constitutions absolument factices et indénombrables. Elles définissent un régime sans rapport réel avec celui qui règne effectivement dans la nation, le premier servant de paravent au second. Le souci de la vérité conduit à tenir compte de celui-ci plutôt que de celui-là.
Ainsi, notre souci n’est pas de faire des similitudes entre les diverses catégories de régimes politiques. Mais de prêter attention à cette «différence» et qui nous semble la plus fondamentale qui les sépare: ils reposent tous sur le fait que les gouvernants y sont ou non l’émanation d’élections générales et sincèrement «honnêtes» (pour ne pas paraphraser l’expression d’un ancien chef de gouvernement) !
Hélas, ce procédé (élections libres), s’écroule face à un régime qui a ‘‘ingénieusement’’ fait échapper le choix des gouvernants à toute action des gouvernés: depuis l’avènement de l’indépendance, nos dirigeants ont toujours ‘‘su’’ se recruter en quelque sorte «d’eux-mêmes», d’où le terme (et cette fois-ci on ne peut éviter de le désigner), «autocratie» !!
Sauf que, là, le problème de «légitimité» et «souveraineté», encore une fois, refait surface ! Car, comment justifier, en effet, que ces hommes (au pouvoir) commandent à leurs semblables sans que ceux-ci soient intervenus dans leur investiture ? La réponse est certainement du côté de l’irrationnel et des forces magiques auxquelles tenait tant la conscience historique de l’homme primitif !
Par ailleurs, cette «dérive» et ce «déficit» de légitimité a été incessamment confirmée à travers les années : l’explosion d’octobre 1988 et sa sanglante répression en est l’illustre exemple ! Pire, les querelles internes au régime, à l’issu de ces douloureux événements n’ont fait qu’accentuer le malaise. Ceci avait comme conséquence : ‘‘garantir’’ ou tout de même ‘‘assurer’’ au régime et ses dirigeants la «mise en veilleuse» – et pour quelques longues années de plus – de ladite « souveraineté », perçue comme une « grossesse non-désirée », en quelque sorte, aux yeux du régime ! Avec bien évidemment, toutes les incidences pathologiques pour la jeune Mère-Algérie !
Pourtant, on aurait aimé croire que l’idéal de Machiavel (Nicholas, 1469-1527), a pu succomber au fil des siècles, lorsqu’il a rompu avec la nécessité de parenté entre « politique » et « éthique » ! En fait, il en est rien… Pourquoi rompre avec le ‘‘Prince’’ ? Pourquoi les dirigeants doivent-ils, lui tourner le dos près de 5 siècles plus tard ? Au contraire, puisque sa seule logique (du Prince), n’est-elle pas celle « des moyens, la pure technique de l’acquisition et de la conservation du pouvoir » ? Surtout, « qu’il n’est plus nécessaire à ce Prince d’avoir toutes les bonnes qualités de bonté, de clémence, de piété, de loyauté et de justice ». Néanmoins « rester assez prudent pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient » ! Sans oublier, naturellement, que l’intérêt de sa conservation au pouvoir, l’oblige à « violer les lois de l’humanité, de la charité et de la religion »*.
En vérité, c’est au citoyen d’Algérie à qu’il incombe une telle responsabilité historique. De s’interroger sur les outils intellectuels, de faire un appel charnel à ses forces psychologiques les plus perspicaces, de puiser au fin fond de son patrimoine historique et culturel, faire appel au « capital-expérience » en matière de lutte politique de la nation, à l’imagination de toutes ces femmes et hommes de bonne volonté…etc., pour espérer enfin de mettre en œuvre un nouveau projet politique et fonder des institutions digne de l’Algérie issu du GPRA, en intégrant tous les paramètres évolutifs intergénérationnels de notre siècle. Honorer, ainsi, toutes les valeurs de ces gens qui ont sans cesse lutté contre vents et marais à travers les temps. Pour qu’aujourd’hui nous tous, jouissions de ces « acquis» conquis, par le sang, la sueur, et la plume…Vivre dignement au sein d’une nation prospère…
En somme, tout le monde s’accorde sur le fait que la première des thérapies, du moins la plus essentielle, sans laquelle nous risquons de traîner cette léthargie peut-être encore (que Dieu nous en préserve) pour quelques décennies de plus, c’est évidemment : recouvrer la souveraineté du peuple et tout ce qu’elle implique comme exercice des libertés et droits sous toutes leurs formes… Afin que chaque individu accomplisse naturellement, ses devoirs en toute quiétude et participer aux tâches communes et collectives pour une meilleure édification de l’Etat proclamé il y a déjà 50 ans !!
Par Akhoukoum Samy.
* Machiavel, le Prince (1513), traduction d’Y. Lévy. Ed. Garnier-Flammarion, p.62.