TAUX D’INTERÊT, INFLATION ET CRISE FINANCIERE:UNE SOLUTION REVOLUTIONNAIRE
La crise financière qui a éclaté récemment aux Etats-Unis et qui va engloutir des centaines de milliards de dollars du trésor américain, somme qui aurait sauvé des millions de vies humaines de la famine et de la maladie, a eu un traitement symptomatique. De nouvelles crises avec de nouveaux sauvetages hallucinants surviendront tôt ou tard tant qu’on ne traitera pas la cause de ces crises cycliques.
Tous les analystes s’accordent à dire que cette crise est celle du marché financier et non celle de l’économie réelle. Encore faut-il en donner une explication de fond et non des explications parcellaires ou accessoires.
C’est ce que nous allons tenter de faire en nous basant sur les fondamentaux de l’Islam concernant le traitement des capitaux :
Cette religion prohibe de manière absolue le placement ou le prêt avec un intérêt, prohibition qui a pour conséquence la non augmentation du capital par lui-même. Le capital n’a d’autre possibilité d’augmenter que par son investissement dans le secteur de la production des richesses.
Si le capital est thésaurisé, donc non investi, il est l’objet d’une ponction annuelle de 2,50% de sa valeur, appelée Zakat et destinée aux démunis. Cette ponction n’a pas la fonction d’impôt pour assurer les services publics, comme certains le pensent : c’est une contribution de solidarité sociale destinée à être distribuée à des personnes physiques dont le revenu mensuel est inexistant ou ne leur suffit pas à boucler leurs dépenses mensuelles. Cette ponction a également pour effet l’extinction à terme des capitaux dormants : à titre d’exemples, au bout de 80 années, le capital thésaurisé perd 87% de sa valeur, au bout de 100 années 92% de sa valeur. Cette ponction n’est plus redevable au-dessous de la valeur équivalente à celle de 85 grammes d’or. Ce minimum (nissab) varie d’année en année avec le cours de l’or.
Si le capital thésaurisé est prêté, la ponction charité de 2,50% ne lui est pas applicable : de ce fait, le capital thésaurisé peut être maintenu à sa valeur initiale.
Considérons maintenant les conséquences de l’augmentation du capital par lui-même, de son maintien à sa valeur initiale et de sa diminution grâce à la ponction charité de 2,50%.
L’augmentation du capital par lui-même est le système que le monde entier applique actuellement, même par les pays musulmans. Tout détenteur d’une rente peut la faire fructifier sans risque dans un placement épargne. S’il ne touche aux intérêts de fin d’année, sa rente va augmenter indéfiniment sans contrepartie équivalente dans l’économie réelle (tous les placements de capitaux ne sont pas investis). Résultat : l’équilibre masse monétaire/biens et services est constamment rompu et de nouveaux équilibres interviennent par l’augmentation des prix des biens et services. L’inflation ininterrompue qui frappe les monnaies de tous les pays depuis plus d’un siècle n’a pas d’autre explication.
A contrario, si les taux d’intérêt sont prohibés et le capital maintenu de ce fait à sa valeur initiale, la variation de la masse monétaire ne concernera que la variation des biens et services produits. La non augmentation des capitaux rentiers aura un effet incontestable sur la stabilité des prix et le pouvoir d’achat des monnaies nationales. En tout état de cause, la non augmentation des capitaux rentiers vaut suppression radicale d’un facteur inflationniste important.
En ce qui concerne la diminution des capitaux dormants par la ponction charité annuelle de 2,50%, elle aura trois conséquences :
a) la relance de la consommation par l’augmentation des bas revenus ;
b) l’incitation à investir le capital thésaurisé pour éviter son extinction ;
c) l’incitation à consentir des prêts sans intérêt pour maintenir sa valeur initiale.
Ces trois conséquences ont pour effet final la relance de l’économie réelle.
A ce sujet, beaucoup de pratiquants musulmans s’ingénient à fuir la ponction charité en plaçant leurs capitaux dans des valeurs refuges comme les biens immobiliers ou les métaux précieux. Mais ils doivent savoir que même les bijoux des femmes qui sont en principe exonérés de la ponction charité, ne le sont plus lorsque l’intention de sa propriétaire a été de les avoir achetés pour en faire un placement, le principe général en la matière étant que tout bien matériel non utilisé ni dans la production des biens et services, ni dans la consommation (location de logement) doit faire l’objet de la ponction charité, y compris par exemple, des chambres ou des étages d’une maison habitée jamais utilisés. Pour que la ponction charité garde toute son efficacité, elle ne doit pas être laissée à la discrétion des détenteurs de capitaux mais calculée et prélevée par un organisme étatique, comme cela se pratiquait dans les premiers états musulmans.
L’économie de marché a fait ses preuves au cours de ces deux derniers siècles dans la production des biens et services et dans les progrès technologiques. C’est incontestable. Cependant, le marché financier qui malheureusement, l’accompagne lui a causé beaucoup de tort dans le passé et jusqu’à présent. C’est un parasite de l’économie réelle qui s’est mu en cancer lors de ces dernières décennies avec la multiplication des produits financiers et la facilitation des emprunts, facilitation faisant l’impasse des garanties et compensée par des taux élevés. Le marché financier est un facteur de désordre qui étouffe l’économie réelle de manière cyclique. Au lieu de s’attaquer à ses conséquences, n’est-il pas plus intéressant de s’attaquer à sa cause ?
Pour nous, musulmans, la cause est entendue : les taux d’intérêt doivent être prohibés de manière absolue et nous pensons que c’est pour le bien de l’humanité toute entière. Ce ne sera pas la première fois dans l’histoire que les civilisations échangent une bonne idée : les exemples sont légion. Il est cependant malheureux de constater qu’il n’existe aucun modèle économique basé sur l’absence de taux d’intérêt. Les économistes des pays musulmans auraient pu construire un tel modèle économique ne serait-ce que par obligation religieuse ou, dans le cas contraire, nous démontrer que c’est un modèle irréaliste. Or, par fainéantise intellectuelle ou par mimétisme, ils se contentent de reproduire ce que créent leurs homologues occidentaux.
Nous proposons modestement ci-après les fondements de ce modèle économique sans taux d’intérêt :
Postulat de base : aucun placement d’un capital et aucun prêt n’ouvre droit à un intérêt quels que soit le montant ou la durée ;
Tout capital dormant quelle que sa nature (fonds monétaires, biens immobiliers non occupés, métaux précieux) est frappé d’un impôt qu’on peut appeler impôt sur la fortune..
Sont exonérés de l’impôt sur la fortune :
a) les capitaux investis sous forme d’actions,
b) les autres valeurs mobilières,
c) les prêts qui sont bien sûr sans intérêt,
d) les biens immobiliers utilisés dans la production de biens et services ou dans la consommation (logement).
Utopie certes : car, même s’il est possible de construire un modèle économique sur de telles bases, il sera rejeté par le capitalisme financier qui détient le pouvoir d’état dans la plupart des pays occidentaux. C’est une hérésie que d’imaginer d’éliminer les taux d’intérêt qui constituent la pierre angulaire de tout le système économique que le capitalisme financier impose au monde entier. Le plus incongru dans ce schéma, c’est l’adhésion démocratique de toutes les forces politiques influentes dans les pays occidentaux, alors même que les détenteurs de capitaux ne sont qu’une minorité électoralement parlant. Ainsi, l’impuissance des partis socialistes face aux partis de droite ne s’explique-t-elle pas par le fait que leurs politiques et leur combat se déroulent dans le cadre des règles de jeu du capitalisme financier ? Par exemple, au lieu de revendiquer péniblement, à intervalles réguliers, l’augmentation des salaires par syndicats interposés, n’est-il pas plus indiqué de frapper au cœur du système pour tarir l’inflation à la base : c’est-à-dire revendiquer l’élimination des taux d’intérêt pour stabiliser la masse monétaire et par conséquence le pouvoir d’achat. Par contre, l’impôt sur la fortune que nous considérons comme deuxième fondement du modèle économique proposé est fréquemment revendiqué par certains partis de gauche en France : malheureusement, la distinction n’est pas faite entre les capitaux dormants parasites et les capitaux investis qui sont utiles pour la société et l’emploi. Le résultat politique négatif de cette revendication est la jonction du capitalisme financier et du capitalisme productif qui se retrouvent du même côté de la barrière. Imposer le profit en tant que revenu est tout à fait logique, mais imposer le capital qui a permis ce profit est suicidaire : la règle de bon sens serait de répartir les œufs de manière équitable tout en préservant la poule pour d’autres pontes. Troisième aspect politique du modèle proposé : si les partis alternatifs et les partis de gauche occidentaux réussissent à imposer un modèle économique sans taux d’intérêt, il serait logique et juste de revendiquer la distribution de l’impôt sur la fortune à l’ensemble des salariés au lieu de le destiner au service public et ce, dans le cas où on estime comme le grand économiste occidental Karl Marx, que la formation du capital imposé est l’œuvre de tous les salariés.
Dans les sociétés occidentales, le taux d’intérêt est entré dans la culture des masses, il est par conséquent très difficile de l’éradiquer à moins d’une crise financière majeure qui se retourne contre la grande majorité de la société.
Y a-t-il alors un espoir de tester un modèle économique sans taux d’intérêt dans les pays musulmans ? Or, là aussi, l’espoir est mince quand on constate la politique de crédit pratiquée par les banques dites islamiques et non fustigée par les théologiens musulmans. Exemple vécu à Oran en Algérie : si vous voulez acheter une automobile qui coûte environ 700.000,00 DA chez le concessionnaire, la banque islamique vous la propose à 1.000.000,00 DA à payer en 5 ans par mensualités. Pour la banque et nos théologiens, la banque a réalisé un bénéfice dans une opération achat-vente et n’a pas usé de taux d’intérêt. Le bénéfice est licite et l’opération semble irréprochable. Or, ce que nos théologiens savent très bien aussi, c’est que tout bénéfice acquis au-dessus du prix du marché du jour de l’achat est usurier et donc illicite, surtout, circonstance aggravante, si l’acheteur est pris à la gorge, n’a pas d’autre moyen d’acheter directement chez le concessionnaire et se trouve obligé de se faire plumer par la banque. Donc, cette manière de procéder est illicite. En fin de compte, le crédit proposé par la banque islamique dont la durée et les mensualités sont identiques à n’importe quelle banque non islamique a été calculé sur la base d’un taux d’intérêt déguisé. Par conséquent, les banques islamiques sont le mauvais exemple à ne pas suivre et sont loin du modèle économique anti-inflation et anti-crise financière que nous proposons. Ce modèle est à construire et vite, car, les dirigeants des états musulmans sont les premiers responsables de la pratique du taux d’intérêt par leurs banques nationales.
En conclusion, bien que les musulmans en tant que communauté, ont le devoir de vivre dans un environnement économique sans taux d’intérêt, les états musulmans tels qu’ils sont gouvernés actuellement avec le verrouillage du champ politique, l’absence de débats d’idées et sans contre pouvoir sérieux vont persévérer dans leur aveuglement à pratiquer les taux d’intérêt. Pas seulement, car la pratique du taux d’intérêt est aggravée par un autre fléau condamné de manière absolue par la religion islamique, à savoir la corruption. Les états musulmans sont parmi les pays les plus corrompus du monde et foulent ainsi allègrement au pied depuis des dizaines d’années les deux prescriptions religieuses que sont l’interdiction du taux d’intérêt et la condamnation de la corruption (corrupteurs et corrompus). Le changement de système économique conforme aux valeurs islamiques ne se réalisera à notre sens qu’avec l’avènement de la démocratie dans ces pays. Par conséquent, la mise en œuvre d’un modèle économique sans taux d’intérêt ne viendra pas des états musulmans existants, mais s’imposera avec le temps et les crises financières cycliques et douloureuses pour les couches sociales non responsables du désordre financier. Elle sera l’œuvre des partis de gauche, représentant ces couches populaires, ceux qui sont au pouvoir (Amérique latine) et ceux dans l’opposition (Union européenne) alliés au capitalisme productif de tous les pays. Il appartient aux chercheurs d’orienter ces forces politiques en définissant les étapes dans le temps et l’espace pour la réussite de cette révolution financière.
Par NOUAR Beneddine
Cadre d’entreprise
Citoyen du monde
ORAN-ALGERIE
*La contribution a été evoyée par son auteur à la boite du blog. Merci
Bravo pour votre analyse qui a mon sens est tres objective. Alors pourquoi pas un debat d idees la dessus.