12 octobre, 2008
Affaire Mecili: Les révélations de Monsieur X à Patrick Pesnot
Transcription intégrale de l’émission de France-Inter par tahaiabladi, Rendez-vous avec X du samedi 11 octobre
Patrick Pesnot: «La démocratie s’arrête là où commence l’intérêt de l’Etat ». La phrase est signée Charles Pasqua, et justement dans le dossier qu’ouvre Monsieur X aujourd’hui, il va beaucoup être question de Charles Pasqua alors qu’il était ministre de l’intérieur du premier gouvernement de cohabitation dirigé par Jacques Chirac.
André Mecili était un avocat Français d’origine algérienne. En 1987, il a été assassiné sur le sol Français, et le tueur, rapidement identifié par la police (française) a été expulsé en urgence absolue vers Alger. Exactement comme si Paris ne voulait pas s’impliquer dans une affaire algérienne, ou plutôt, exactement comme si la France ne voulait pas contrarier l’Algérie avec laquelle elle entretient des rapports aussi houleux que passionnels. Pendant plus de vingt ans et malgré les efforts incessants de la veuve de Mecili, le dossier de ce crime d’État, car c’est bien de cela qu’il s’agit, n’a guère progressé. La justice ne s’est pas hâtée et à même à plusieurs reprises essayé d’enterrer purement et simplement l’affaire. En octobre 1992, par exemple, la cour d’appel de Lyon juge irrecevable la plainte d’Annie Mecili au motif qu’elle ne saurait prétendre avoir personnellement souffert de préjudice. Et bien sûr aussitôt après,le juge d’instruction prononce un non lieu. Mais, enfin cet été, l’affaire rebondit de façon spectaculaire. Un certain Hasseni est appréhendé à l’aéroport de Marseille. C’est lui, ancien officier de la sécurité militaire algérienne qui aurait peut-être payé le tueur. Monsieur X qui avait déjà évoqué cette affaire il y a plusieurs années rends compte des derniers développement et rappelle les faits
Monsieur X : Un mot auparavant, l’affaire Mecili a connu de multiples péripéties judiciaires grâce à l’infatigable volonté de la veuve de Maître Mécili qui ne s’est jamais résignée
PP : Et malgré l’inertie de la justice…
MX : Et l’obstruction systématique des autorités algériennes. En 2001, se produit pourtant une avancée considérable. Hichem Aboud, un transfuge de la sécurité militaire algérienne, affirme que l’ordre de liquider Mecili a été donné au plus haut niveau de l’Etat et il livre le nom de l’homme chargé d’organiser l’assassinat, un certain capitaine Rachid Hassani, un officier qu’il connaît parfaitement puisqu’ils sont tous deux originaires du même village.
PP : Oui un témoignage crédible
MX : Oui, Aboud a été chef de cabinet du patron de la redoutable sécurité militaire qui s’appelle aujourd’hui le DRS. Département de la recherche et de la sécurité.
PP : Oui, ce type était donc bien informé…
MX : Et deux ans plus tard, son récit est corroboré par un autre officier de la SM qui lui aussi a fuit son pays, le colonel Samraoui. Ce dernier ajoute que le capitaine Mohamed Ziane Hassani a remis 800.000 francs au tueur.
PP : Attendez là… le premier transfuge a parlé d’un Rachid Hassani et non pas de Mohamed Ziane…
MX : Vous avez raison de soulever ce point car il fait débat aujourd’hui. N’empêche que dans les deux déclarations, le patronyme est pratiquement le même, Hassani ou Hasseni…
PP : Ce n’est quand même pas tout à fait pareil !
MX : Et les avocats vont jouer de cette éventuelle confusion. Mais… allons plus loin. Fin 2007, sur la foi de ces deux témoignages, le nouveau juge d’instruction Baudoin Thouvenot, annonce son intention de délivrer un mandat d’arrêt contre Mohamed Ziane Hassani et l’homme de main qui a perpétré l’assassinat.
PP : Un proxénète, si je me souviens bien…
MX : Oui un nommé Amellou qui à depuis longtemps trouvé refuge en Algérie… Mais on reparlera de lui. Assez curieusement, le procureur de la république estime que la délivrance de ces mandats d’arrêts ne s’impose pas.
PP : Ah oui ? toujours la volonté d’étouffer l’affaire ?
MX : Ecoutez, je n’en sais rien, il faudra lui poser la question à ce magistrat !. En tous cas, le juge d’instruction ne tient pas compte de l’avis du Procureur, et c’est ainsi qu’au beau milieu du mois d’août dernier, Mohamed Ziane Hasseni, responsable du protocole de l’Etat algérien est arrêté dès qu’il met le pied sur le sol français.
PP : Depuis il a été remis en liberté…
MX : C’est exact. Il est soumis à un contrôle judiciaire et il n’a pas le droit de quitter le territoire français… Mais je vous promet que l’on va revenir sur le sort de cet homme. Auparavant, remontons dans le temps et intéressons-nous à la personnalité d’Ali André Mecili. A l’époque de la guerre d’Algérie, le jeune algérien a une vingtaine d’années. Il est donc appelé à effectuer son service militaire.
PP : Dans l’armée française ?
MX : Bien entendu. Et il est partisan de l’indépendance. Alors, il doit choisir : ou bien il prends le maquis, ou il s’exile. C’est la deuxième solution qui a sa faveur. Il passe en Italie et de là, il rejoint l’armée des frontières.
PP : C’est l’armée du GPRA, gouvernement provisoire algérien regroupé en Tunisie.
MX : Là, le très jeune étudiant en Droit est très vite remarqué. Il est incorporé dans un organisme qui s’intitule : Le ministère de l’armement et des liaisons générales et qui est faite, le service de renseignements du gouvernement provisoire algérien. Lorsque vient l’indépendance en 1962, les premières batailles pour le pouvoir déjà latentes, éclatent au grand jour
PP : Oui, les événements assez dramatiques de l’été 1962…
MX : En effet. Je résume. D’un côté il y a l’État major général. De l’autre, il y a le bureau politique du GPRA. Et le sang va couler. La confrontation est même tellement grave que le peuple d’Alger descend dans la rue en criant : Sept ans çà suffit (seb3e snine baraket).
PP : Oui, et Mecili dans tout cela ?
MX : Le jeune homme ne supporte pas ces luttes fratricides et refuse d’y participer. Il ne tarde pas à déserter. Un peu plus tard, comprenant que c’est l’armée qui a en réalité pris le pouvoir…
PP: Oui, Malgré les apparences elle ne l’a toujours pas quitté…
MX : C’est vrai. Donc Ali Mecili rejoint Aït Ahmed qui résiste au pouvoir dans son fief Kabyle. Mais en 1964, le jeune homme est arrêté. Il parvient toutefois miraculeusement à s’enfuir en France.
PP : Quelle est alors sa situation vis à vis de la France justement ?
MX : Ali André Mecili né de parents naturalisés français est donc français. Chez nous il termine ses études de droit et devient avocat.
PP : Et il rompt avec ses anciennes activités ?
MX : Si vous voulez parler du renseignement oui. Par contre Mecili ne renonce pas à s’occuper de politique algérienne.
PP : Donc même en exil…
MX : Vous savez l’exil c’est le lot de tous les opposants au régime. Mais justement, il est resté très proche d’Aït Ahmed qui a lui même trouvé refuge en Suisse après s’être évadé. Une parenthèse avant de revenir à ses activités politiques. Mecili a fondé une association qui vient en aide aux pauvres et aux démunis. Et cet homme juste ne refuse jamais de plaider pour un type en difficulté, gratuitement souvent.
PP : Mais revenons sur ses activités politiques, car j’imagine qu’elles doivent être en rapport avec son assassinat.
MX : Évidemment. Mecili se bat pour une Algérie démocratique et son ambition est de parvenir à fédérer les opposants au régime algérien de Chadli. Et en 1986…
PP : Un an avant sa mort donc…
MX : Oui, il réussit une sorte d’exploit. La réconciliation entre deux exilés prestigieux, Ben Bella et Aït Ahmed. C’est d’autant plus méritoire que les deux hommes se sont longtemps combattus et ils ont des idées parfaitement divergentes.
PP : Oui, Aït Ahmed est un laïc…
MX : Tandis que Ben Bella est déjà tenté par l’islamisme. Mais Mecili a su convaincre les deux leaders, que seule l’union de l’opposition permettra de venir à bout d’un régime antidémocratique et corrompu, et pour sceller cette réconciliation, l’avocat prend la direction d’un journal : ‘Libre Algérie’ où pourront s’exprimer tous les opposants.
PP : Et comment réagit-on à Alger ?
MX : On fait la grimace. Autrefois à l’ère Boumedienne, on envoyait des tueurs pour se débarrasser des opposants isolés, aujourd’hui, il parait plus difficile d’éliminer tous ces gens unis. Mais ! c’est Mecili qui cristallise la haine du régime algérien
PP : Pourquoi ? Parce que il est le vrai responsable de cette unification ?
MX : Oui, incontestablement, mais aussi parce qu’on le soupçonne d’avoir un réseau d’informateurs au sein même de la Nomenklatura algérienne et sans effleurer la suite de mon récit, je peux vous dire que c’est là l’un des secret de l’affaire Mécili
PP : Oui. On va y venir. Alors à Alger on décide de liquider physiquement l’avocat ?
MX : Pas tout de suite. Pour le faire taire, les gens de la sécurité militaire algérienne utilisent d’abord la menace.
PP : De quelle façon ?
MX : Classique. Les coups de téléphone se multiplient à son cabinet. Le correspondant est toujours anonyme, mais le message lui est clair : Si Mecili ne renonce pas à son activité politique, il sera abattu.
PP : Réaction de l’avocat ?
MX : André Mecili n’est pas homme à céder. Pourtant à l’évidence, ces avertissements le minent. Ainsi dans la semaine qui a précédé sa mort, l’avocat semble déprimé, il sent que le danger se rapproche et a même du mal à se concentrer sur son travail. Quelques jours plus tôt en effet, sa secrétaire a découvert un message sur le répondeur du cabinet : « Fin mars, ce sera fini pour toi »
PP : Donc il prend au sérieux ces menaces…
MX : Naturellement. Il est bien placé pour savoir que ces adversaires sont redoutables.
PP : Prend t-il des précautions ?
MX : Lorsqu’il se déplace dans Paris, il est vigilant. A plusieurs reprises, il a eu l’impression qu’on le filait. Et il envisage de recruter deux gardes du corps. Des militants de son mouvement. L’un d’eux est un colosse, Khaled Dabal.
PP : Qui est-ce ?
MX : Un militant Ben Belliste. L’avocat a assuré sa défense lorsqu’il a été inculpé par la justice française à cause de ses activités politiques. Et justement Dabal va bientôt sortir de prison. Malheureusement ce sera trop tard pour Mecili, les tueurs ont frappé avant.
PP: Le journaliste et écrivain Michel Naudy a consacré un livre très documenté à l’affaire Mecili intitulé ‘Un crime d’États (États étant écrit avec un s) et désignant bien sûr l’Algérie et la France. Naudy écrit et je le cite : “face aux menaces qui se précisent, André Mecili qui plus que d’habitude, mesure le danger, commence à prendre des précautions. Une première fois dans un restaurant de Marseille où il retrouve en mars quelques amis, il pose ouvertement le problème de sa sécurité. Les coups de téléphone anonymes se multiplient et il faut réagir d’autant que ses fonctions politiques l’accaparent de plus en plus au détriment des affaires du cabinet. En quelques jours, deux décisions sont arrêtés. Mecili va prendre progressivement de la distance avec son métier. Il contacte à cet effet l’une de ses consœurs pour entamer un processus d’association. La deuxième décision est plus longue à mettre en place, deux adhérents du MDA, il s’agit du mouvement de Ben Bella vont être affectés à la protection rapprochée de l’avocat. L’ouvrage de Michel Naudy a été publié par Albin Michel
MX : Alors venons en maintenant aux circonstances de l’assassinat. Le 7 avril 1987, semble un jour comme les autres pour André Mécili. Le matin en compagnie de sa femme, il accompagne ses deux jeunes enfants à l’école, puis il se rend à son cabinet Boulevard Saint-Germain près du carrefour de l’Odéon. Beaucoup de clients l’attendent. Des sans-papiers d’abord, mais aussi des politiques, des familles de détenus en Algérie ou en Iran par exemple.
PP : La routine donc
MX : A l’heure du déjeuner, l’avocat se rend dans une brasserie voisine et en profite pour rencontrer des militants du mouvement d’Aït-Ahmed. L’après midi, il plaide et regagne son cabinet. De nombreux rendez-vous l’attendent encore.
PP : Mais rien qui puisse l’inquiéter encore plus que les menaces qu’il a déjà reçues ?
MX : Si si. Dans la soirée, le téléphone sonne. C’est un nouvel appel anonyme.
PP : Inquiétant donc. Et comment interpréter ce coup de téléphone qui risque de rendre Mecili encore plus méfiant ?
MX : Écoutez, je ne sais pas exactement. Mais on peut supposer que les tueurs étaient aux aguets et qu’ils voulaient simplement s’assurer de la présence de l’avocat à son cabinet. Mais cela n’est qu’une hypothèse, car j’ai aussi pensé à autre chose.
PP : Expliquez moi alors…
MX : Mecili pouvait avoir aussi de bons amis très bien informés qui étaient dans l’impossibilité de se découvrir mais qui voulaient simplement l’avertir des risques imminents qui pesaient sur sa vie
PP : Il s’agirait là de ses informateurs très bien placés dans la Nomenklatura algérienne ?
MX : C’est possible, mais je continue… Mecili se dispose à rentrer chez lui dans le haut du Boulevard Saint-Michel lorsqu’une visiteuse se présente. C’est une amie et une cliente. Christine. L’avocat a oublié qu’ils avaient rendez-vous.
PP : Il la reçoit quand même ?
MX : Tout à fait. Et après avoir bavardé quelques instants, ils vont prendre un verre dans un café du quartier
PP : Vers quelle heure ?
MX : Bientôt 22 heures. Et il fait nuit depuis longtemps
PP : Mecili a prévu son épouse qu’il serait en retard ?
MX : Évidemment. D’ailleurs après ce verre, Mecili décide de rentrer. Christine propose de l’accompagner jusqu’au pied de son immeuble.
PP : J’imagine qu’ils vont marcher?
M X : Oui. Cela représente une petite ballade d’un quart d’heure vingt minutes…
PP : C’est quand même pas très prudent pour un homme qui se sent menacé. Parce qu’il fait nuit m’avez-vous dit ?
MX : C’est exact. Mais l’avocat doit penser que l’on n’osera pas l’attaquer dans un quartier aussi fréquenté.
PP : Quoique le soir, le haut du Boulevard Saint-Michel à la hauteur du Luxembourg ne soit pas très très passant…
MX : Sans doute. Mais vous savez quand on vit sous une menace permanente, eh bien il y a des moments où l’on a envie défier les événements.
PP : …Et donc de défier la mort
MX : Peut être.
PP : Donc l’avocat et son amie remontent le Boulevard Saint-Michel.
MX : Et ils continuent à bavarder tranquillement.
PP : Rien de suspect ?
MX : Jusque devant le domicile de Mecili non. Les deux amis se disent au revoir et se séparent. Christine s’apprête à traverser le Boulevard pour gagner l’arrêt d’autobus. Et soudain, elle se retourne.
PP : Pourquoi ?
MX : Encore une fois, je n’en sais rien. Un pressentiment peut-être, l’intuition d’une présence humaine..
PP : Ah bon. Et que voit-elle en se retournant ?
MX : Un homme, parapluie à la main qui s’engouffre dans la porte de l’immeuble, juste derrière l’avocat.
PP : Et que pense t-elle à ce moment là ?
MX : Elle doit se dire que l’homme a oublié sa clef et profite du passage de Mecili pour entrer dans le bâtiment
PP : Oui Oui. C’est logique. Donc, elle ne s’inquiète pas ?
MX : Pas réellement non.
PP : Et que se passe t-il ensuite ?
MX : La jeune femme reprend sa marche et ……. presque aussitôt elle entend un bruit étrange
PP : Quoi exactement ?
MX : Comme un bruit de verre brisé
PP : Que fait-elle ?
MX : Intriguée, elle fait demi tour, et là elle voit l’homme au parapluie sortir calmement de l’immeuble. L’individu sans se presser passe devant elle, lui sourit et prend la direction de la rue Soufflot.
PP : Il descend donc le Boulevard ?
MX : Oui. Mais Christine, je vous l’ai dit, est intriguée. Pourquoi cet homme est-il ressorti de l’immeuble aussitôt après y être entré ? Et ce bruit de verre cassé.
PP : Donc, elle essaye de comprendre…
MX : Et elle regarde à l’intérieur du hall. La porte d’entrée est en effet vitrée dans sa partie supérieure. Et c’est là qu’elle découvre un corps appuyé contre la porte de la loge de la concierge.
PP : Il s’agit de Mecili ?
MX : Bien sûr. L’avocat en tombant a brisé a fenêtre de la loge
PP : D’où le bruit
MX : Oui. Christine tambourine à la porte, la concierge ouvre. La jeune femme se précipite, mais elle ne peut que constater que son ami est mort, vraisemblablement tué par une arme à feu. L’autopsie le confirmera, André Mecili a reçu trois balles de 7.65 dans la tête.
PP : Le témoignage de cette Christine va donc être capital parce que l’homme au parapluie est sans nul doute l’assassin.
MX : Évidemment. Et la jeune femme sera capable de donner une description très précise de cet individu qu’elle a vu à deux reprises. Un type d’une trentaine d’années, plutôt beau gosse, type européen, cheveux courts et châtains, mesurant à peu près 1.70 m. A noter que ce témoignage va être aussitôt corroboré par un autre.
PP : De qui s’agit-il là ?
MX : C’est un chauffeur de taxi. Dans les jours qui suivent, il a lu dans le journal un article sur la mort de l’avocat et il a fait le rapport avec un client qu’il a chargé le soir de l’assassinat en bas du Boulevard Saint-Michel, à peu près une demi-heure après les faits.
PP : Et cela colle avec la description faite par Christine ?
MX : Tout à fait. Il dit même que le type qui semblait surexcité n’a pas arrêté de parler pendant tout le trajet jusqu’à la rue du faubourg du temple où il l’a déposé.
PP : De quoi parlait ce bavard alors ?
MX : De Femmes. Et plus spécifiquement de femmes arabes pour lesquelles l’homme semblait avoir une inclinaison certaine.
PP : Dites moi…… pas très discret le bonhomme ? et tout cela fait un peu amateur non ?
MX : Je suis d’accord avec vous et effectivement on l’apprendra un peu plus tard, ce personnage, l’assassin donc, n’était pas un tueur expérimenté. Un mauvais garçon certes mais pas un exécuteur.
PP : Et la police alors ? Que pense t-elle et comment procède t-elle ?
MX : Elle cherche d’abord dans la vie professionnelle de l’avocat.
PP : oui suite logique..
MX : Mais la veuve et les amis politiques de Mecili eux accusent unanimement les services algériens d’être les commanditaires de l’assassinat. Son ami Aït Ahmed affirme même avec une certaine prescience : “Ils ont du prendre n’importe quel mec ”
PP : Comme assassin… et sont-ils écoutés par les enquêteurs ?
MX : Pas vraiment. Car autant vous le dire tout de suite, les enquêteurs ne font pas de zèle
PP : Ils ont des ordres ?
MX : Cela me parait évident. Car ils ne sont pas naïfs et eux aussi soupçonnent les services algériens, mais en haut lieu, on ne souhaite pas envenimer les rapports avec l’Algérie. Or, justement, ces relations après avoir connu des hauts et des bas sont redevenues très bonnes….. Et écoutez bien, dans les heures qui ont suivi l’assassinat de Mecili, le ministre de l’intérieur Charles Pasqua aurait pris son téléphone et appelé l’ambassadeur d’Algérie pour lui dire : ” Ne vous inquiétez pas, votre pays n’est pas concerné par l’affaire ”
PP : Alors que l’on en est tout juste aux prémices de l’enquête !
MX : Par conséquent, les policiers ne sont pas très motivés et n’ont guère envie de suivre une piste purement algérienne.
PP : Pardonnez moi de revenir en arrière mais …. Comment expliquer cette embellie de nos rapports avec l’Algérie ?
MX : En dehors même des relations économiques que nous entretenons avec l’Algérie,
PP : …Le gaz …
MX : En particulier, mais il y a le fait qu’à chaque fois que nous connaissons des difficultés au proche-orient, Alger est mis à contribution et prié de s’entremettre.
PP : Et en 1987, nous avons des otages au Liban…
MX : C’est cela, çà signifie par conséquent que nos services spéciaux se connaissent très bien… et coopèrent à l’occasion. Il faut dire et vous le savez déjà, que les algériens ont monté un service de renseignements très efficace. L’un des tous premiers au monde.
PP : Mais un organisme multipliant les sales coups, je pense à sa manipulation un peu plus tard des islamistes.
MX : Vous avez raison et nous en avons souvent parlé. En tous cas, et pour revenir strictement à l’affaire Mecili, il y a heureusement des gens qui dans l’ombre veulent faire éclater la vérité et troubler ce jeu de la connivence qui existe entre Alger et Paris… d’une façon très habile.
PP : Le 15 avril 1987, une semaine après l’assassinat d’André Mecili, le Canard Enchainé écrit : “A Matignon, au Quai d’Orsay et à l’Intérieur chacun tient les services secrets d’Alger pour responsables de l’exécution. Les excellentes relations actuelles entre Mitterrand et Chadli ou entre Pasqua-Pandraud et leurs homologues algériens n’empêchent pas les soupçons. Mais ! Pas de vagues ! Il ne faut surtout pas contrarier Alger. Michel Naudy déjà cité écrit que la préfecture de police a par exemple interdit aux amis de Mecili d’accompagner sa dépouille de l’institut médico-légal jusqu’au cimetière du père Lachaise. Mecili après avoir été un avocat incommode, serait-il devenu un cadavre encombrant ? demande Naudy. Et il poursuit : “le faite est que l’enquête n’avance pas”. Un comité de défense se constitue et constate le 17 juin que rien n’est fait pour faire la lumière dans le dossier. Henri Leclerc alors avocat de la famille Mecili estime que la police n’ayant rien trouvé dans l’entourage ou dans les dossiers de l’avocat est restée l’arme au pied et que le juge d’instruction, je cite : ” Ne dirige pas cette enquête”
MX : Lorsque la police traine les pieds, eh bien il faut parfois la stimuler.
PP : Qu’est-ce que vous voulez dire ?
MX : Eh bien on peut parfois lui lâcher un petit tuyau par ci, par là, histoire de la remettre dans le droit chemin.
PP : Et c’est ce qui va se passer dans l’affaire Mecili ?
MX : Oui. Une première fois un peu plus d’un mois après l’assassinat de Mecili, un inspecteur de la ‘Mondaine’ comme on disait alors, recueille un tuyau providentiel : André Mecili aurait été tué sur contrat par un certain Malek. Obligeamment, on fournit au policier le numéro de téléphone de ce type et, on ajoute que cet individu qui aurait un casier judiciaire chargé, vivrait avec une femme d’origine maghrébine
PP : Et quand vous dites : “On “, l’informateur…, de qui s’agit-il ?
MX : Un de ces indicateurs bien sûr, un homme qui à l’évidence à lui même était bien informé
PP : Dans le dessein de faire parvenir ses tuyaux à votre policier de la Mondaine ?
MX : Exactement.
PP : Oui et derrière, il y a quelqu’un quand même, un commanditaire…
MX : Sans surprise, l’indic dit que c’est un responsable des services spéciaux algériens.
PP : Avec des détails aussi précis. Cela doit pas être trop difficile d’identifier ce Malek.
MX : Cela me parait évident. Et la fiche qui sort des sommiers de la préfecture de Police correspond à celle d’un repris de justice nommé Malek Amellou.
PP : Quel est son pédigrée ?
MX : Ce kabyle âgé d’une trentaine d’années a accumulé vols, escroqueries, proxénétisme, détention d’armes et j’en passe. Sa concubine Fatna a eu aussi affaire à la justice et tous deux vivent dans le Xème arrondissement de Paris, près de la gare de l’Est, donc pas très loin de l’endroit où le chauffeur de taxi a déposé son client bavard.
PP : Rue du Faubourg des temples. Donc çà colle ! Et…. les policiers s’y précipitent.
MX : …Et ils trouvent porte close
PP : Les oiseaux se sont enfuis
MX : Et la boite aux lettres bourrée de courrier atteste qu’ils sont partis depuis plusieurs jours.
PP : Échec donc…
MX : Provisoire, car un deuxième tuyau parvient à la police très peu de jours après le premier.
PP : Par le même canal ?
MX : Non. Un inspecteur, qui comme le premier n’a rien à voir avec l’affaire Mecili, reçoit lui aussi un tuyau. Le tuyau dont rêve tout policier. Tout y est. Les noms, les lieux, le montant du contrat, c’est extraordinaire !
PP : Oui, vous ne croyez pas au hasard..
MX : Bien entendu. Dans le milieu contrairement à ce que l’on prétend, il n’existe aucun code de l’honneur et qu’on bavarde à à tord et à travers, mais il y a quand même des limites et là, elles sont franchement dépassées tant les précisions sont accablantes…
PP : Racontez alors
MX : Une confirmation. L’assassin est bien le dénommé Malek Amellou. Il a agit de concert avec un certain Samy. Deux hauts personnages algériens, leurs noms et leurs fonctions sont données, ont proposé 800.000 francs pour exécuter le contrat. Le mystérieux informateur est même capable d’indiquer dans quel restaurant la négociation a eu lieu.
PP : C’est un fait étonnant alors..
MX : Et ce n’est pas fini ! Parce que l’on a pas envie que les policiers ’s’égarent’, donc, on leur donne en prime des informations de première importance et en particulier, le signalement d’Amellou, de Samy et des deux hauts responsables algériens dont l’un est un commandant de la sécurité militaire. Pour faire bonne mesure, on ajoute que Malek Amellou qui vit avec une danseuse nue qui se produit à Pigalle et possède deux voitures : une porsche et un BMW. Et on ajoute le numéro d’immatriculation des deux voitures et même l’adresse du garage où elles sont remisées.
PP : On ne peut pas être plus coopératif !
MX : N’est-ce pas ! et j’allais oublier… on dit que ce Malek Amellou est en Algérie mais que sa concubine qui se trouvait avec lui est de retour en France
PP : Les policiers vont donc pouvoir tendre une souricière…
MX : Oui oui, mais d’abord, ils vérifient le tuyau…Tout est exact. La ligne téléphonique de Fatna est aussitôt mise sur écoute, et, rapidement, çà donne des résultats.
PP : Quoi ?
MX : Malek appelle sa compagne depuis l’Algérie. Très mystérieusement, il lui demande de ne surtout pas fréquenter les magasins pendant la troisième semaine de juin, je crois.
PP : Qu’est-ce que cela veut dire ?
MX : Les policiers pensent immédiatement aux attentats qui ont ensanglanté Paris un an plus tôt en 1986. A Alger ce type a pu obtenir des informations sur la préparation des nouveaux attentats.
PP : Et il y a du vrai la dessous ?
MX : C’est très possible. Les services algériens qui avaient d’excellents rapports avec la plupart des mouvements terroristes qui je vous l’ai dit servaient souvent d’intermédiaires avec les ravisseurs dans les prises d’otages pouvaient très bien savoir quelque chose. En tous cas. Cela signifiait pour les policiers français que Malek n’était pas seulement le petit truand qu’on pensait.
PP : Oui. Et qu’apprennent t-ils encore grâce à ces écoutes ?
MX : Le souteneur parle d’argent caché en Corse.
PP : L’argent du contrat ?
MX : Certainement. Mais surtout, ils apprennent le retour prochain de Malek Amellou à Paris et ils l’arrêtent sans difficulté quand il revient chez lui. Aussitôt une perquisition est ordonnée à son domicile.
PP : Et c’est bien le moins que… et çà donne quelque chose ?
MX : Eh bien d’abord les policiers se rendent compte que Malek vit sur un grand pied. Mais l’important, c’est le petit papier trouvé dans son portefeuille, un ordre de mission de la sécurité militaire algérienne paraphé par un certain capitaine Rachid Hassani.
PP : Et ce voyou avait gardé ce document sur lui ?
MX : Une imprudence incroyable non ?
PP: Oui oui oui en tous cas le mystérieux indicateur avait raison sur tous les plans.
MX : Oui. Cependant Amellou placé en garde à vue n’est guère bavard. Il raconte des bobards, il nie bien sûr toute participation dans l’assassinat de Mecili
PP : Est-ce qu’il est confronté avec les deux témoins. Christine ? C’est çà oui ? Et puis le chauffeur de Taxi ?
MX : Le chauffeur de taxi ? En bien, ‘on’ néglige de le convoquer. Quand à Christine, il se passe quelque chose de très curieux. Lorsqu’au cours d’une séance traditionnelle de tapissage, on lui présente Malek Amellou au milieu de quatre autres hommes, elle éclate en sanglots.
PP : Et ce qui veut dire ?
MX : Sans nul doute, elle a reconnu l’homme au parapluie, l’assassin de son ami Mecili, mais, elle a peur. Sans doute a t-elle été déjà été menacée. Conclusion : Elle hésite et elle n’identifie pas Amellou comme l’homme qui est entré dans l’immeuble de l’avocat et est ressorti tout de suite après.
PP : Est-ce que le signalement qu’elle avait donné précédemment correspondait avec le physique de Malek ?
MX : Tout à fait. A part une moustache toute récente. Mais que Christine ait ou non reconnu Malek Amellou n’a pas beaucoup d’importance
PP : Pourquoi ?
MX : Mais parce que le sort du malfrat est déjà scellé.
PP : Ah bon ! Que cela veut dire?
MX : Alors que Fatna qui a été placée en garde à vue en même temps que Malek commence à craquer, un ordre vient du ministère de l’intérieur. L’Algérien et sa compagne sont expulsés en urgence absolue. Le soir même ils s’envolent pour Alger.
PP : On ne veut pas qu’ils parlent ?
MX : C’est évident. Et on ne veut surtout pas déboucher sur une mise en cause de l’Algérie.
PP : Mais ? Et le juge d’instruction alors ?
MX : On s’est passé de lui demander son avis !
PP : Et l’affaire en est restée là ?
MX : Sur le plan policier oui. Le comparse de Malek, le nommé Samy qui s’appelait en réalité Nemnouche était parti en Algérie depuis belle lurette. Quand aux autres hommes qui avaient été mêlés plus ou moins à l’affaire, ils n’ont jamais été réellement inquiétés.
PP : Silence donc.
MX : Silence et falsification de la vérité oui. J’ajoute que l’homme qui devait être le garde du corps de Mecili…
PP : Le colosse ?
MX : Oui. Khaled Dabal. Il estimait avoir une dette vis à vis de l’avocat qui l’avait bien défendu lors de son procès. Et il s’est mis en tête de faire la lumière sur l’assassinat de Mecili. Mal lui en a pris. Deux ans après Mecili, il est tombé à son tour sous les balles d’un tueur. Naturellement, on a conclu qu’il s’agissait d’un banal règlement de comptes entre malfrats.
PP : Oui un peu facile non?
MX : Bien évidemment.
PP : Alors, venons-en aux derniers développements
MX : Dès qu’il est arrêté, Mohamed Ziane Hasseni proteste de son innocence, ‘on le confond avec quelqu’un d’autre’.
PP : Oui le vrai Rachid Hassani. Mais il faut rappeler que cette arrestation a eu lieu il y a deux mois. au mois d’août.
MX : Et d’ailleurs dit-il, il n’a jamais fait de carrière militaire. Cependant, ce transfuge dont je vous ai parlé, l’ex colonel Samraoui affirme qu’il s’agit bien du capitaine Hassani qu’il a connu. Mais pour introduire un peu plus de confusion, l’autre transfuge, Aboud, nie que l’homme arrêté à Marseille-Marignane soit le Rachid Hassani qui a remis 800.000 francs au tueur.
PP : Grande confusion, alors que penser ?
MX : Je me bornerais à faire trois observations. D’abord la modification du patronyme et du prénom ne signifie rien. Il s’agit là d’une pratique courante des services secrets lorsqu’ils veulent couvrir un agent. Par contre, si ce Hasseni est réellement coupable, Il aurait certainement évité de venir en France
PP : A cause du mandat d’arrêt délivré contre lui.
MX : A contrario son attitude est curieuse. Votre confrère de France Inter Benoît Collombat, vient de le révéler, Hasseni a refusé d’être soumis à des tests génétiques et graphologiques. De la même façon, il ne veut donner aucun détail sur son CV
PP : Et s’il était innocent, il devrait satisfaire sans problème à la curiosité du juge.
MX : Évidemment. Alors pour terminer, je vous donne quelques clefs pour mieux comprendre cette affaire. A Plusieurs reprises, j’ai évoqué des gens hauts placés qui à Alger donnaient des informations à Mecili et on ensuite téléguidé l’enquête des policiers Français. Ces personnages ont tout fait pour que la vérité éclate.
PP : Oui mais ils ont échoué.
MX : Il faut malheureusement le reconnaitre. Et pourtant, ils avaient transmis des renseignements explosifs à Mecili.
PP : Quoi ?
MX : Ces opposants clandestins avaient révélé à l’avocat que la propre épouse du Président Chadli avait la main-mise sur la négociation de quelques juteux contrats internationaux, mais il y avait aussi autre chose et cela jette une lumière crue sur l’affaire…
PP : Eh bien je vous écoute là…
MX : Lorsqu’il a été assassiné, Mecili venait d’apprendre que des milliards d’anciens francs avaient été distribués par l’Algérie à des partis politiques français, versements attestés par des documents émis par la paierie générale de l’ambassade d’Algérie à Paris. Voilà pourquoi l’avocat a été liquidé de toute urgence par un tueur maladroit qui a semé sur son chemin de nombreux petits cailloux blancs.
Pour terminer quelques lignes d’Aït Ahmed le mentor politique de Mecili qui a consacré un livre à son ami :
« Il ne manquait plus qu’à faire en sorte grâce à la complicité des dirigeants français que ce meurtre n’existe pas, qu’il soit totalement rayé des mémoires et qu’il ne figure dans aucune chronologie des évènements qui ont marqué notre pays. Vingt ans après, ne pas oublier Ali Mecili et combattre l’omerta qui, à Alger comme à Paris s’acharne depuis lors à effacer jusqu’à son existence, c’est donc évidemment un devoir de mémoire, c’est une fidélité à un homme qui fut un ami très cher, irremplaçable, à un militant et à un cadre politique d’exception, mais c’est aussi remonter aux origines de l’impunité dont la police politique algérienne se sent investie depuis cette année 1987 et qu’elle a interprété depuis comme il se devait la possibilité de tout se permettre, partout et en toutes circonstances».
L’affaire Mecili a été réédité en 2007 par la Découverte.