Je voulais aller vers un régime parlementaire
« Les réformes que je projetais et que j’ai annoncées ont soulevé des résistances dans le sérail. Elles se sont concrétisées dans les événements d’Octobre. Je voulais aller vers un régime parlementaire par un retour à la souveraineté populaire avec le retour de la confiance entre le peuple et ses dirigeants. Depuis, on fait le serment, la main sur le Coran, de respecter
la Constitution et on fait autre chose. Je ne suis pas de ceux-là ! »
Le temps est venu de dire la vérité
«Depuis que j’ai quitté le pouvoir, je me suis imposé une réserve. J’ai été insulté, diffamé, calomnié, on a raconté des mensonges et je n’ai pas répondu car je crois en certaines valeurs. Mais le temps est venu de dire la vérité car aujourd’hui, on s’est approprié trop dangereusement l’histoire de
la Révolution et sa légitimité. J’appelle les historiens, les vrais, à travailler en faisant preuve de neutralité et d’objectivité. Ceci pour l’avenir du pays et le bien-être des générations montantes.»
Ce sont les 3 B qui commandaient la révolution
« Ce n’est pas le CCE ou le GPRA qui commandait
la Révolution, ce sont les ‘3B’. La direction de
la Révolution a toujours été divisée à cause des conflits internes, des dissensions, des rivalités des dirigeants pour des intérêts étroits, pour la responsabilité. Et je dis, aujourd’hui, qu’il faut en parler et en témoigner. Les rivalités entre les chefs ont mené à des crises très graves qui ont mis en danger le cours de
la Révolution.»
Chadli Bendjedid cite des cas où ces rivalités entre chefs ont manqué provoquer un affrontement entre les fedayins (environ 10 000 hommes) de la base de l’Est et l’armée tunisienne (moins de 30 000 hommes). «Ils ont même fomenté un complot contre Bourguiba pour le remplacer par Salah Benyoucef.» Pour pallier ces situations provoquées par les rivalités, le GPRA a mis en place un commandement à l’Ouest, avec Slimane Hoffman et Houari Boumediène, et un autre à l’Est avec Saïd Mohammedi à sa tête. C’est ce dernier qui va prononcer la dissolution de la base de l’Est et envoyer Amara Laskri (dit Bouglez) à Baghdad comme attaché militaire.
«A cette époque très trouble, avec la mort suspecte de Abane Ramdane,
la Révolution consomme en haut lieu ses divisions très empreintes de régionalisme. Il y avait, d’une part les wilayas I et II avec la base de l’Est, d’autre part les wilayas IV et V avec le GPRA. Nous avons cherché à évincer les ‘3B’ et Ferhat Abbas en le remplaçant par Lamine Debaghine. Pendant ce temps, la base de l’Est, c’était aussi 10 000 hommes oisifs qui n’avaient pas de mission précise. Il y a eu beaucoup de purges et de nombreux responsables ont été arrêtés avec l’aide des militaires tunisiens. »
J’ai eu droit à Khaled Nezzar pour m’espionner
Les conflits avec le CCE étaient tels que des conseillers militaires de la promotion Lacoste, «déserteurs tardifs de l’armée française», ont été affectés aux trois zones de la base de l’Est. «Pour nous espionner», affirme l’ancien chef de l’Etat, qui ajoute: «Moi, j’ai eu droit à Khaled Nezzar.» Les tensions étaient telles que le CCE a rencontré des difficultés avec les trois zones de la base pour contrer les projets des lignes Challe et Morice. Il y avait une défiance des uns à l’égard des autres. Ceci va mener à une crise profonde qui sera le motif de «la rencontre des commandants» avec Houari Boumediène qui va faire le bilan de ces divisions internes; malgré cela, «la méfiance persiste car l’état-major (EMG) découvre que les gradés de l’armée française sont des informateurs pour le compte du GPRA et des ‘3B’».
Le coup de force de l’été 1962
«J’étais d’accord pour le coup de force militaire car les rivalités, les appétits, les conflits entre les chefs étaient si forts que j’étais convaincu que seule la force pouvait apporter le répit. Et je l’ai dit à Boumediène, que j’ai rencontré ici même à El Tarf. A ce propos, je tiens à rendre hommage ici à Mohand Oulhadj qui a œuvré en grand patriote pour réduire la confrontation inévitable avec les wilayas III et IV.
Le premier Président devait être Mohamed Boudiaf, qui avait refusé pour ne pas être sous la tutelle de l’armée. Ahmed Ben Bella était hésitant, mais il a été choisi. » «Je jure que ce que je rapporte est la vérité, car j’ai vécu ces périodes, elles ne m’ont pas été rapportées. J’appelle les historiens à être neutres et objectifs pour que personne ne puisse se prévaloir d’une légitimité aux dépens de ses frères de combat, surtout ceux tombés au champ d’honneur.» «Je jure que durant toute cette période, je n’ai jamais cherché à être chef. Toutes les responsabilités que j’ai exercées m’ont été imposées. »
Je n’ai jamais dit aux militaires de me porter à
la Présidence.
« Sur son lit de mort en Russie, Houari Boumediène a délégué une personne, dont je ne citerais pas le nom, pour me dire « Chadli doit me remplacer à la tête de l’Etat », mais ce délégué est allé voir d’autres personnes avant de venir m’apporter le message. Il y a eu 7 postulants à la succession de Houari Boumediène, dont 4 du Conseil de la révolution. Je n’ai jamais dit aux militaires de me porter à
la Présidence. Je sais cependant qu’il y a eu une réunion dans une école primaire et les militaires en sont sortis pour dire: vous avez le choix entre Chadli et Bendjedid. »
Saïd Abid a été exécuté.
«Tahar Zbiri est un ami, je l’ai connu bien avant de connaître Houari Boumediène. Lorsque j’ai compris, par une discussion avec Saïd Abid, qu’il se préparait quelque chose, j’ai dit à Tahar que je n’utiliserais pas la force et je n’ai envoyé que les bazoukistes contre ses chars pour le stopper à El Affroun. C’est un ami, mais Zbiri à la tête de l’Etat aurait été un désastre. Saïd Abid a été exécuté. Je le pense, car j’ai eu à le confirmer auprès de son épouse. Encore un règlement de comptes, car Ben Bella était derrière le groupe d’Oujda et les officiers de l’armée française derrière le problème de Tahar Zbiri. »
Source El Watan