Le Comité des Organisations non gouvernementales (ONG) du Conseil économique et social (ECOSOC) de l’ONU s’est réuni aujourd’hui à New York et a recommandé, sur demande de la Mission permanente d’Algérie auprès des Nations Unies, la suspension de la Commission arabe des droits humains (CADH) pour un an. La plainte de l’Algérie était basée sur la prise de parole, le 10 Juin 2008, du Représentant permanent de la CADH de l’époque, M. Mesli, à la session du Conseil des droits de l’homme (CDH) à Genève. M. Mesli est aussi le directeur juridique d’Alkarama. Alkarama est une ONG pour la défense des droits de l’homme basée à Genève (voir ci-dessous pour une présentation d’Alkarama).
L’Algérie affirme que M. Mesli est lié à un groupe terroriste, le GSPC (accusation sans fondements que nous réfutons catégoriquement), et stipule qu’un mandat d’arrêt a été émis contre lui à travers Interpol et qu’en conséquence il ne devrait pas avoir le droit de s’adresser au CDH.
M. Mesli est arrivé en Suisse en 2000 où il a obtenu le statut de réfugié politique. Il a pu ainsi poursuivre son action juridique pour la défense des droits humains tant en Algérie que dans le monde arabe. Les préoccupations exprimées par l’Algérie concernent justement ses activités après son arrivée en Suisse. Le manque flagrant de crédibilité des graves allégations formulées par les autorités algériennes a fait que les autorités helvétiques ne leur ont donné aucune suite.
Alkarama est extrêmement préoccupée par la décision prise par le Comité. Il crée un précédent dangereux car il signifie que les défenseurs des droits humains et les ONG pourraient être ciblés, comme dans le cas présent, par les gouvernements qui violent les droits de l’homme. Les gouvernements pourraient donc saper le travail des défenseurs des droits humains et les ONG pour lesquelles ils travaillent en présentant de fausses accusations et des informations trompeuses à l’ECOSOC.
Cette décision va contre le but exprimé du Comité des ONG de l’ECOSOC, qui est de veiller à ce que l’ECOSOC, ses organes subsidiaires et le CDH bénéficient de l’apport et de l’expertise des ONG. La contribution des ONG est un élément essentiel des processus intergouvernementaux. Il est expressément déclaré par l’Assemblée générale des Nations Unies que les ONG jouent un rôle important aux niveaux national, régional et international, dans la promotion et la protection des droits de l’homme. Cette décision constitue donc un déni à la société civile de participer aux travaux du CDH et de ce fait elle affecte la crédibilité de tout le système de protection des droits de l’homme de l’ECOSOC et du CDH.
Il ressort clairement du procès-verbal de la réunion du Comité qu’il n’a pas été alloué suffisamment de temps afin de recevoir toutes les informations permettant d’examiner comme il se doit la plainte déposée par l’Algérie. Nous sommes en outre préoccupés par le fait que la commission ait fondé sa décision essentiellement sur les informations reçues de l’Algérie. Nous considérons que la procédure du Comité est défectueuse et qu’il est arrivé à une conclusion erronée car n’ayant pas été en mesure de tenir compte d’informations pertinentes.
De toute évidence, Alkarama est très préoccupée par la désinformation intentionnelle de la Mission permanente d’Algérie à l’encontre de M. Mesli car de tels procédés peuvent avoir de graves conséquences qui entraveraient l’essence même de l’action de non seulement notre collègue, mais aussi pour toutes les ONG qui travaillent avec l’Organisation des Nations Unies.
Ce n’est pas la première fois que l’Algérie tente de réduire au silence une ONG qui travaille sur les violations des droits humains. En 1997, l’Ambassadeur d’Algérie a publiquement pris à partie Amnesty International en raison de ses rapports sur les violations massives des droits humains en Algérie et a demandé à ce que son statut consultatif ECOSOC lui soit retiré. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre cette nouvelle attaque contre M. Mesli, avocat et défenseur les droits de l’homme connu et respecté, et qui n’est encore qu’une autre tentative par l’Algérie pour réduire au silence toute voix critique de ses violations des droits humains.
Nous notons également que l’Algérie ne soulève pas de préoccupations sur le contenu de l’intervention de M. Mesli au CDH le 10/6/2008, et qui documentait de graves violations des droits humains en Algérie. Ceci montre que la plainte est motivée par des raisons autres que la question de la conduite des ONG dans le CDH.
Si le Comité confirme sa décision suite à la plainte déposée par l’Algérie, il est évident qu’il créera un précédent qui affectera sérieusement sa crédibilité du Comité ainsi que celle de la procédure d’accréditation des ONG. Cette plainte concerne donc non seulement notre collègue, M. Mesli et la CADH mais aussi toutes les autres ONG, en particulier les ONG nationales qui ne sont pas tolérées par les gouvernements connus pour leurs violations des droits humains.
Alkarama a l’intention de présenter sous peu ses préoccupations à la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, au Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits humains et au Comité des ONG de l’ECOSOC.
À propos d’Alkarama
Alkarama est une Fondation de droit suisse travaillant pour la protection et la promotion des droits de l’homme dans le monde arabe. Elle a des bureaux et des représentants à Genève (siège), Liban (Beyrouth), Doha, et au Sanaa (Yémen). Alkarama participe à l’ensemble des mécanismes des droits humains de l’Organisation des Nations Unies y compris les procédures spéciales et les organes conventionnels, ainsi que l’Examen périodique universel (EPU) récemment introduit. L’objectif de Alkarama est de travailler à travers un dialogue constructif avec tous les acteurs – y compris les États, le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme et de tous les membres de la société civile. Alkarama s’est spécialisée dans les quatre domaines prioritaires suivants: la détention arbitraire, la torture, les disparitions forcées et les exécutions extra-judiciaires. Alkarama a présenté des milliers de communications aux procédures spéciales de l’ONU, y compris plus de 1000 cas relatifs à l’épineuse question des personnes disparues en Algérie. En 2007, plus de 90% des cas examinés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire concernant le monde arabe ont été présentées par Alkarama.