2 mars, 2009
Affaire Mécili: Alger récupère un agent, la raison d’Etat triomphe
Par José Garçon/ Rue89
Six mois auront finalement suffi à l’Algérie pour récupérer l’un de ses agents Mohamed Ziane Hasseni, organisateur présumé de l’assassinat en avril 1987 à Paris d’Ali Mécili, porte-parole de l’opposition algérienne. Vendredi, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a en effet autorisé ce diplomate algérien, pourtant mis en examen pour « complicité d’assassinat », à quitter la France en levant partiellement le contrôle judiciaire auquel il était soumis depuis son arrestation le 14 août dernier à l’aéroport de Marseille.
Ainsi, à vingt-deux ans d’écart, la justice et l’Etat français bégayent littéralement. En 1987 en effet, Paris avait renvoyé en procédure « d’urgence absolue » à Alger l’assassin de Mécili Abdelmalek Amellou sans même qu’il ait été présenté devant un juge d’instruction. Antoine Comte, avocat de la famille Mécili, s’indigne: « C’est une page sombre, une de plus, de la justice française. C’est la deuxième fois qu’on renvoie des responsables de ce meurtre à Alger. Autant dire qu’on tue Ali Mécili pour la troisième fois. »
Deux décennies plus tard, le « traitement politique » de cette affaire est tout aussi cynique et transparaît dans un double et incroyable réquisitoire du ministère public dont Rue89 a eu connaissance.
« Paris enterre l’affaire Mécili »
A cinq jours d’intervalle en effet, deux réquisitoires identiques au mot et à la virgule près, portant la même signature, ont abouti à une décision radicalement différente! Le premier, daté du 12 février 2009, conclut que la levée du contrôle judiciaire réclamée par les avocats de Ziane Hasseni n’a pas lieu d’être. Le second, daté du 17 février, autorise cette levée…
Un tour de passe passe dénoncé par Antoine Comte: « Les mêmes causes et les mêmes motifs font que, dans un cas, Ziane Hasseni doit rester en France et que, dans l’autre, il peut quitter le territoire et rentrer en Algérie. En réalité, Paris enterre cette affaire car l’organisateur présumé du meurtre de Ali Mécili ne reviendra certainement pas en France de son plein gré, même si le contrôle judiciaire lui impose toujours de se rendre aux convocations du juge d’instruction. »
Cet épisode pourrait prêter à rire s’il ne s’agissait du meurtre en France, sur ordre des services secrets algériens, d’un avocat français, véritable cheville ouvrière de l’opposition algérienne démocratique. Il prouve que face aux pressions des autorités algériennes, Paris finit toujours par céder. Or celles-ci se sont fortement accélérées ces dernières semaines, signe qu’Alger, habitué à jouir d’une totale impunité de la part de son partenaire français, s’impatientait de voir un processus judiciaire suivre trop longtemps son cours.
Les notes verbales au Quai d’Orsay se sont ainsi succédées. Le chef de la diplomatie algérienne a rencontré « en urgence » à Paris son homologue français Bernard Kouchner, tandis que se multipliaient dans la presse algérienne les menaces que cette « prise d’otage d’un diplomate ait des conséquences graves sur les relations algéro-françaises », comprendre notamment sur la participation de l’Algérie à l’Union pour la Méditerranée.
Le chantage de l’Algérie
Pire: Abdelaziz Bouteflika, qui devait se rendre à Paris avant l’élection présidentielle algérienne d’avril prochain, renvoyait sans explication cette visite à plus tard!
Ces pressions ont fini par porter puisque la levée du contrôle judiciaire de Ziane Hasseni aura eu lieu sans même attendre que soient connus les résultats d’une analyse graphologique ou que Hasseni soit confronté par vidéo-conférence à un témoin capital et dissident militaire algérien, Mohamed Samraoui. Réfugié en Allemagne, ce dernier avait formellement reconnu en Mohamed Ziane Hasseni un certain « capitaine Hassani » qui, en sa présence, avait versé à Amellou, le tueur de Mécili, une partie de l’argent de son « contrat » dans un hôtel algérien à l’été 1987.
Ce sont cette homonymie supposée et une sombre histoire de lieu de naissance qui ont été le leitmotiv d’Alger et de Ziane Hasseni pour nier tout rapport entre lui même et l’organisateur du meurtre de Mécili.
L’autorisation de quitter la France qui lui a été accordée anéantit quoi qu’il en soit vingt ans d’efforts de la défense de la famille de l’opposant algérien et du juge français Baudoin Thouvenot dont la ténacité et l’intégrité ont permis l’arrestation de l’agent d’Alger.
Le 7 décembre 2007 en effet, ce juge avait émis, déjà contre l’avis du parquet, un mandat d’arrêt international contre le tueur Amellou -qui coule des jours heureux en Algérie-, et contre son officier traitant, le « capitaine Hassani » devenu au début des années 1990 le diplomate Mohamed Ziane Hasseni.
Le 20 février dernier, au cours de l’audience où Hasseni réclamait l’autorisation de quitter le territoire, le représentant du ministère public n’a pas fait mystère du caractère politique de toute cette affaire. Arguant qu’ »au vu du dossier », il avait estimé que Hasseni devait rester en France pour y être confronté à Mohamed Samraoui, il expliquait son revirement par le fait que s’agissant d’un « dossier suivi », il l’avait « transmis » à sa hiérarchie.
Ce joli euphémisme explique comment l’affaire Mécili a été, une fois de plus, renvoyée dans le trou noir où deux raisons d’Etat s’évertuent à la maintenir depuis deux décennies.