www.Bakchich.com, 10 mars 2009 |
La diplomatie algérienne a étrangement peu couiné lors de l’arrestation à Marseille d’un diplomate algérien dans le cadre de l’affaire Mécili, en août dernier… Des manœuvres politiques étaient en cours à Alger.
Encore un rebondissement dans l’affaire Mécili, du nom de cet opposant algérien assassiné devant son domicile parisien le 7 avril 1987. Le 27 février dernier, la chambre d’instruction de
la Cour d’appel de Paris a partiellement levé le contrôle judiciaire qui frappe un diplomate algérien mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans le cadre de l’affaire Mécili, l’autorisant ainsi à rentrer dans son pays s’il le désire.
Mohamed Ziane Hasseni est le directeur du protocole du ministère algérien des Affaires étrangères en charge du cérémonial. Il a été arrêté le 14 août 2008 à l’aéroport de Marseille alors qu’il se rendait en France pour un voyage privé. En effet, en décembre 2007, le juge alors en charge de cet épineux dossier, Baudouin Thouvenot, avait délivré un mandat d’arrêt contre un certain capitaine Hassani pouvant également répondre à l’identité de Mohamed Ziane Hassani ou Hasseni. Depuis son arrestation, le diplomate, qui n’a jamais changé de version, affirme ne pas être la personne recherchée et se dit victime d’une homonymie.
La diplomatie algérienne muette
Comme Bakchich l’a déjà raconté, très vite après l’arrestation de Mohamed Ziane Hasseni, plusieurs échanges discrets entre autorités françaises et algériennes ont suivi : coup de fil du Premier ministre Ahmed Ouyahia à Rachida Dati et, suite à des pressions en tous genres, ouverture la nuit du centre de détention français où le diplomate était embastillé pour que le consul général d’Algérie puisse lui rendre visite.
Si la diplomatie algérienne s’active en coulisses dans les heures et les jours qui suivent l’arrestation de Mohamed Ziane Hasseni, elle reste par contre publiquement muette. Or, Alger a pour habitude de méchamment étriller l’ancien pays colonisateur dans le cadre d’affaires sensibles. Et pas seulement.
On se souvient par exemple des déclarations antisémites, en novembre 2007, du ministre des Moudjahidines, Mohamed Cherif Abbès, toujours en poste. A quelques jours de l’arrivée de Nicolas Sarkozy en Algérie pour une visite officielle, il s’en était pris dans la presse aux « origines du président français » avant de déclarer que les « véritables architectes de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir » est « le lobby juif qui a le monopole de l’industrie en France » !
En ce qui concerne l’arrestation de Mohamed Ziane Hasseni, il faudra attendre dix jours — soit le 24 août 2008 — pour que les autorités algériennes réagissent enfin officiellement. D’une manière on ne peut plus modérée : au détour d’une conférence de presse tenue à l’issue d’une réunion du conseil de gouvernement, le ministre de la Communication Abderrachid Boukerzaza a qualifié « d’incident regrettable » l’arrestation du diplomate qui «a été victime d’un traitement humiliant de la part de la police française».
Manœuvres dans les coulisses d’El Mouradia
Pour ce haut-fonctionnaire algérien qui souhaite garder l’anonymat, ce silence assourdissant n’a rien d’étonnant et relève de la volonté du président Abdelaziz Bouteflika qui a la main haute sur les affaires diplomatiques et notamment celles concernant la France. « Les diplomates du ministère des Affaires étrangères ont vite rédigé un communiqué dénonçant l’arrestation en France de leur collègue mais la présidence en a empêché la diffusion » affirme-t-il. Pour des raisons de politique politicienne qui feraient de Mohamed Ziane Hasseni une victime collatérale de jeux d’influence algéro-algériens au sommet de l’Etat.
A l’été 2008, le président Bouteflika a réussi depuis plusieurs mois déjà à rallier les différents acteurs du pouvoir algérien à l’idée de son troisième mandat qu’il a officiellement obtenu lors de la révision de la Constitution en novembre 2008. Mais, selon plusieurs témoins privilégiés, l’ancien homme fort des années 90, le général Larbi Belkheir, n’est pas de cet avis. Il a été envoyé en exil doré au Maroc en 2005 par Bouteflika qui l’a nommé ambassadeur d’Algérie au royaume chérifien et lui tient rancœur.
Faire taire le général Larbi Belkheir
«Dans ce contexte, le président Bouteflika voulait faire taire Larbi Belkheir » explique un homme d’affaires bien au fait des joutes au sein du sérail algérien. Car, depuis quelque temps, le général, qui souffre d’une maladie rare des poumons, milite en coulisses contre le prolongement du bail de Bouteflika à El Mouradia, le palais présidentiel.
«Alors que c’est lui qui a fait Bouteflika président en 1999, il disait qu’il le déferait et organisait des petites réunions pour rallier les gens à son point de vue » explique un témoin. « Abdelaziz Bouteflika est un tacticien machiavélique. Il ne lui a pas échappé qu’une absence de réaction officielle de l’Algérie suite à l’arrestation du diplomate ne manquerait pas de jeter le trouble et de remettre l’assassinat d’Ali Mécili et ses commanditaires sur le devant de la scène en excitant des journalistes français prompts à montrer du doigt les généraux algériens. En 1987, le général Larbi Belkheir occupait un poste clé puisqu’il était le chef de cabinet du président Chadli… ».
Il faut savoir que dans une interview accordée au Nouvel Observateur en juin 2001, Hichem Aboud, un ancien chef de cabinet du directeur de la Sécurité militaire aujourd’hui réfugié en France, affirmait que l’assassinat d’Ali Mécili avait été commandité par la présidence algérienne de l’époque : « J’étais chargé du dossier du Moyen-Orient au cabinet du général Lakhal Ayat, le directeur central de la Sécurité militaire. (…) Le général Ayat a eu une réunion à la présidence avec Larbi Belkheir, qui était à l’époque directeur de cabinet du président Chadli. Des instructions lui ont alors été données pour monter une opération contre Mécili » a-t-il déclaré.
Encore et toujours de la sobriété
Toujours est-il que le général Belkheir a perdu la partie face au président Bouteflika. Comme Bakchich l’a révélé le 1er novembre 2008, il a dû quitter Paris (où, affaibli par la maladie, il se faisait soigner) pour rentrer à Alger le 30 octobre dernier : il était prévu qu’il soit entendu le lendemain par le juge Thouvenot dans le cadre de l’affaire Mécili…
La diplomatie algérienne tenue d’une main de fer par Abdelaziz Bouteflika et la présidence est-elle pour autant devenue plus virulente publiquement au sujet du maintien sous contrôle judiciaire de Mohamed Ziane Hasseni et des lenteurs de la justice française que dénonce allègrement la presse algérienne ? Que nenni !
Plutôt que de se fendre d’une déclaration solennelle, voire de convoquer l’ambassadeur de France à Alger pour protester en bonne et due forme, le ministre des Affaires étrangères, Mourad Médelci, a privilégié une communication par dépêches de l’APS, l’agence de presse officielle algérienne, interposées.
Par exemple, le 23 décembre 2008, Médelci s’est sobrement interrogé en ces termes : « nous ne comprenons pas pourquoi la justice française n’a pas pris la décision de non-lieu » avant de déclarer que Mohamed Ziane Hasseni « n’a rien à voir avec l’affaire pour laquelle il est mis en cause ». Faut-il comprendre que cette surprenante mansuétude signifie maintenant qu’un soutien public de Nicolas Sarkozy à la réélection d’Abdelaziz Bouteflika programmée pour avril 2009 serait le bienvenu ?
Justice française : l’avocat de la famille Mécili voit rouge
La famille d’Ali Mécili attend la vérité sur son assassinat depuis maintenant vingt-deux longues années. Pour leur avocat, Antoine Comte, le fait que la justice française accepte que Mohamed Ziane Hasseni puisse rentrer dans son pays est « la troisième fois que l’on tue Mécili ».
En juin 1987, soit deux mois après l’assassinat de l’opposant, le tueur présumé, Abdelmalek Amellou, est arrêté par la police française mais expulsé sans vergogne en « urgence absolue » vers Alger par le duo Charles Pasqua-Robert Pandreau, respectivement ministre de l’Intérieur et responsable de la Sécurité publique. Ils n’attendront même pas la fin de la garde-à-vue du tueur présumé !
Par ailleurs, maître Comte relève que le contrôle judiciaire de Mohamed Ziane Hasseni a été partiellement levé avant même que ne soient communiquées au juge les conclusions d’une analyse graphologique effectuée à partir d’un ordre de mission de la sécurité militaire algérienne trouvée sur l’assassin présumé. Autre bizarrerie dénoncée par l’avocat : à ce jour, la justice n’a pas organisé une confrontation entre le diplomate et son unique accusateur, Mohamed Samraoui, un gradé algérien réfugié politique en Allemagne.
Ce dissident a en effet affirmé en 2003 au juge Thouvenot que le diplomate était le fameux « capitaine Hassani » qui, en sa présence, avait versé à Amellou une partie de l’argent du contrat en Algérie, à l’été 1987.
«Samraoui a dit qu’il ne pouvait pas venir en France car il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international délivré par Alger. Pourquoi, alors, ne pas organiser une confrontation par visio-conférence avec Mohamed Ziane Hasseni ? », s’interroge maître Comte.
Enfin, comme l’avocat l’a révélé à Rue89, « à cinq jours d’intervalle, deux réquisitoires identiques au mot et à la virgule près, portant la même signature, ont abouti à une décision radicalement différente ! » Le premier, du 12 février 2009, concluait que la levée du contrôle judiciaire n’était pas d’actualité. Le second, du 17 février, donne son feu vert à cette levée.
Décidément, vingt-deux ans après les faits, les voies de la justice française sur l’affaire Mécili demeurent impénétrables. Quand à Mohamed Ziane Hasseni, selon l’AFP, le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a indiqué que depuis la levée partielle de son contrôle judiciaire, il préférait rester en France jusqu’à son acquittement. La justice doit, elle, encore se prononcer sur son sort.