Par Sniper
L’histoire de Cheb Mami est triste. Elle a failli tourner au drame si la providence n’est intervenue pour sauver un foetus désarmé face à la brutalité des hommes, et lui préserver son droit inaliénable à la vie. Heureusement pour Cheb Mami, l’avortement forcé – ce complot irrationnel – a avorté… Il appartiendra à la justice française de déterminer les responsabilités des auteurs de cette violence, de déterminer les circonstances de son déroulement pour juger et sanctionner équitablement les coupables selon les lois en vigueur.
La voix chaude de Cheb Mami et son répertoire appréciable ont fait vibrer des centaines de milliers de personnes en Algérie et dans le monde. Il portait bien son titre de prince de la chanson raï. Un prince respectable et respecté pour son talent d’abord, mais également pour la sobriété des paroles utilisées dans ses chansons; la vulgarité qui fait fureur chez d’autres, n’a jamais été un art. Il avait aussi une vie privée discrète et sans grand tapage. Malgré ses relations privilégiées avec le président Bouteflika et le président Chirac, les potins artistiques n’ont pas rapporté, à son sujet, des folies ou des extravagances si particulières au milieu artistique et à la vie des célébrités. Si tant est qu’il ne soit pas nécessaire d’être un féru de l’actualité artistique pour se tenir au courant des fracas d’un chanteur ou de n’importe quelle star du show-business, pour le cas d Mami, cette relative distance avec la vie mondaine fangeuse, serait un de ses traits qui le rendait plus attachant que les autres.
En effet, dans le raï, Cheb Mami dérogeait à la règle et faisait florès même auprès de nombreux détracteurs de ce genre de musique. Il plaisait à tout le monde.
Simple, modeste, avenant, il avait la tête sur les épaules et donner au raï une noblesse artistique qui ne se trouve pas ailleurs. L’image qu’il offrait au public, avant cette histoire, contraste brutalement avec ce destin cruel que rien ne laissait présager. Mais, chez l’homme, il persistera toujours un brin infime de folie meurtrière, de sauvagerie primitive refoulée aux tréfonds de son être qui, s’il ne fait gaffe, risque, au gré des malheurs, de colères incontrôlées et des déprimes, de refaire surface et prendre possession de l’ensemble de son être. C’est ce qui a dû arriver à notre chanteur malheureux. Mal conseillé, se sentant floué, devenu fou de rage à la nouvelle d’une grossesse non désirée, il n’a pas mesuré la gravité de son acte ni celle de ses conséquences sur sa carrière et sa vie entière. Mettre un arrêt brutal à une vie naissante, sans motif médical, est un acte qui défie la volonté du Créateur.
Légitime ou pas, un enfant est un don de Ciel. Pour nous les musulmans et pour les fidèles des autres croyances monothéistes, chaque naissance est un miracle et un des grands signes de Son existence et de Sa toute-puissance. Si un enfant naît hors mariage, les parents, qui le renieront, sont indignes de la vie et indignes de leur religion. L’enfant, lui, innocent par nature, est un symbole de la vie et de la pureté de l’âme. Comme l’a si bien chanté Jacques Brel, “l’enfant est le dernier poème…” dans cette vie de barbares. Il est rassurant, si l’on se fie à l’entretien de Camille, d’apprendre que Cheb Mami a reconnu sa grave erreur. Au moment où il a vu sa fille sur la photo, le cœur de Mami fléchit et s’ouvrit au miracle divin. Il découvrit la joie immense que procure le sentiment de paternité. Ce geste, à lui seul, fera ramollir le cœur de sa fille quand elle atteindra l’âge de la maturité. Quant au père, peut-être il passera le restant de sa vie à regretter son forfait et à réparer le tort qu’il a fait à sa fille. Même à partir d’une prison, un enfant a besoin de la tendresse de son père. Malgré la forfaiture dont elle a été victime, Camille semble n’avoir pas décidé encore d’ériger un mur psychologique entre Cheb Mami et sa petite fille. Ira-t-il alors, en juin prochain, à son procès en France pour expier sa faute et recouvrir son droit à la paternité ? Je le souhaite.
Sur un autre chapitre, au ras de pâquerettes, l’affaire de Cheb Mami dévoile un problème de principe et de conscience. En effet, il est intéressant de savoir quel regard porte le monde occidental sur une tentative d’avortement forcé sans le consentement de la femme enceinte. Il y va sans dire que c’est un cas de conscience qui devrait pousser les sociétés occidentales et leurs législateurs à reconsidérer certains aspects de l’égalité des sexes où la femme serait mieux lotie.
Pour nos sociétés orientales, le problème de l’avortement volontaire ne se pose pas dès lors qu’elles considèrent l’embryon, ou le fœtus, comme un être humain à part entière dont l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), relève du crime et du sacrilège, si elle n’est pas justifiée par un danger pour la santé de celle qui le porte ou pour des raisons d’éthique comme le cas des incestes ou celui des viols.
En revanche, il y va tout autrement pour le monde occidental où l’opinion publique et les lois autorisent la mère à procéder à cette interruption pour n’importe quel motif. Cette philosophie ne fait pas l’unanimité dans ces sociétés développées certes; il existe des mouvements de protestation qui activent de façon parfois violente, mais la tendance générale est que cette pratique est bien tolérée et dépénalisée. Que prévoient-ils en cas où, au sein d’un couple, l’homme refuse une grossesse, demande son interruption comme le cas de Mami, et que la femme veut la maintenir ? La femme prend toute seule la décision de faire de son partenaire un père contre son gré. S’il renie l’enfant, ce père, de fait, devient indigne de sa progéniture qui le condamnera toute la vie. Des dommages moraux innombrables, dont le sentiment de culpabilité, accableront le père “biologique” et le poursuivront jusqu’après sa mort. La loi le contraindra à s’acquitter de ses obligations financières envers l’enfant. Deux vies seraient alors brisées par la volonté de la mère.
Dans le cas inverse, le problème semble ne pas se poser. La femme avorte sans contrainte morale ni poursuite judiciaire. Cette différence de traitement pose un problème de discrimination entre l’homme et la femme devant le “droit” de vie et de mort sur l’embryon. L’adage qui prévient l’homme par “ce que femme veut, Dieu veut” dévoile tout son sens dans cette problématique. D’ailleurs, malgré la longue suite de charges retenues contre Cheb Mami; «violences, complicité d’enlèvement et séquestration, complicité d’administration de substance nuisible et menaces et intimidations pour ne pas porter plainte»; il n’y a aucune mention sur le curetage de l’utérus ou de tentative d’interruption de grossesse. De telles charges se retourneraient contre le principe même des IVG. La loi protégerait donc la mère, punit le père et ignore le fœtus. Camille, elle-même n’est pas allée chez la police pour porter plainte contre l’avortement forcé. Elle l’a fait qu’après avoir su que le fœtus est en vie et que Mami l’auraient menacé si elle n’avorte pas.
Suivant cette logique occidentale, cette conception comporterait une lacune impossible à remplir puisque forcer une femme à l’avortement ne peut se faire que par violence. Ce n’est pas le propre de la justice. La pénalisation des IVG offre une meilleure égalité entre les deux sexes et de surcroît elle préserve le droit à la vie du foetus. Dans de nombreuses sociétés musulmanes, ce principe est observé et l’avortement est pénalisé. Est-ce que pour autant nous sommes plus humains ? Absolument pas. Dans nos sociétés où l’hypocrisie la dispute à l’ignorance, le calvaire du fœtus “illégitime” commencera après la naissance… ; parfois, il se retrouvera jeté au coin d’une rue déserte et dans les ordures… Mais ceci est une autre histoire, trop longue à raconter ici.
D’autres volets très importants se cachent derrière l’affaire de Cheb Mami qui a jeté l’émoi au sein de ses fans. Il y a par exemple, l’examen du rapport de Cheb Mami en tant qu’artiste, avec la société algérienne. La couverture indue, dont il semble bénéficier de la part du président Bouteflika, consacre une fois de plus le constat amer de l’impunité dans notre pays avec son corollaire d’une justice à deux vitesses. Bouteflika ne pourra pas prétendre encore: ” du poste que j’occupais, je ne sais pas” ce qui s’est passé. Il sait.
Ni Cheb Mami ni ses hommes de main ni les deux femmes qui ont exercé une violence directe sur la victime n’ont été inquiétés par Zerhouni et Tounsi, les chantres de l’Etat de droit. C’est une entorse très grave aux lois de la république et une insulte à ses institutions. Tout homme qui veut se débarrasser du fœtus de sa partenaire, peut venir en Algérie, s’il réside à l’étranger, louer des services de spécialistes de torture obstétricale. Mami a tracé la voie pour eux et le premier magistrat du pays a laissé faire.
Pour des faits moins graves, un citoyen quelconque ou un Harrag est passible de prison ferme.
Le chanteur de Saïda n’a pas réussi à faire avorter sa partenaire, mais il a réussi à faire avorter, lui aussi, les prétentions démocratiques et de justice de Bouteflika et son équipe, dont les plus concernés, Zerhouni, Ksentini, Tayeb Belaïz et Ghlamallah. Ce dernier était religieusement servile pour ses maîtres en s’illustrant, lors de la dernière campagne électorale, par des fetwas politiques honteuses. Mais dans le cas de Mami, sa piété est trop faible pour intervenir.
Par sa fuite en Algérie et l’impunité qu’il y a trouvée, Cheb Mami, malheureusement, montre que son pays est un Etat bananier. Afin de se réhabiliter devant son public, la seule alternative pour lui est d’aller assister à son procès et assumer ses responsabilités.