Un juge estime «sérieuse» la thèse d’un lien entre GIA et armée algérienne

 

djamelzitouni.jpgArticle publié le dim, 06/09/2009 — 16:30, par Fabrice Arfi, Fabrice Lhomme — Mediapart.fr

 

Le juge antiterroriste Marc Trévidic, chargé de l’enquête sur l’assassinat des moines de Tibéhirine, ces sept ecclésiastiques français enlevés en Algérie en mars 1996 et retrouvés décapités quelques semaines plus tard, vient de donner une ampleur inattendue à ses investigations. Dans sa demande de levée du secret-défense envoyée le 20 août à trois ministères (intérieur, défense et affaires étrangères), le juge semble décidé à enquêter au cœur des brouillards de la « décennie noire » algérienne des années 1990, durant laquelle près de 150.000 personnes ont trouvé la mort, d’après diverses associations de défense des droits de l’homme.

Selon les trois requêtes judiciaires du magistrat, dont Mediapart a obtenu copie, le juge Trévidic ne se contente pas de réclamer la communication de pièces classées secret-défense en rapport direct avec l’affaire des moines de Tibéhirine. Il a aussi étendu sa demande à tous les documents officiels en possession du gouvernement français susceptibles d’accréditer la thèse selon laquelle Djamel Zitouni, l’ancien chef du Groupe islamique armé (GIA), à qui a été imputé l’assassinat des sept religieux mais aussi la vague d’attentats commis en France en 1995, était en réalité… un agent des services secrets algériens. 

«Ma fonction m’impose de ne négliger aucune piste sérieuse ni de privilégier une thèse sur une autre», écrit le juge, prenant le risque de crisper les relations diplomatiques entre Paris et Alger avec ses trois requêtes dont la teneur n’avait pas été dévoilée jusqu’ici. Sortant de la traditionnelle réserve présidentielle en matière d’affaires judiciaires (séparation des pouvoirs oblige, normalement), Nicolas Sarkozy s’était engagé, début juillet, à faire droit à toutes les demandes de levée du secret-défense dans ce dossier. Selon le chef de l’État, les relations entre deux pays ne peuvent pas être basées sur «le mensonge».

La thèse voulant que certaines tueries attribuées à des terroristes islamistes pendant les années 1990 aient parfois été l’œuvre de l’armée algérienne a été avancée par plusieurs anciens membres des services secrets algériens et différents observateurs internationaux. Elle porte le nom du « qui-tue-qui ». 

Les demandes du magistrat, qui vont de fait rouvrir ce chapitre de l’histoire algérienne, interviennent moins de deux mois après la nouvelle direction prise par son instruction avec l’audition de l’ancien attaché militaire de l’ambassade de France à Alger, le général François Buchwalter. Celui-ci a raconté dans le bureau du juge, le 25 juin, que les sept religieux n’avaient pas été assassinés par des islamistes mais tués à la suite d’une bavure de l’armée algérienne, ainsi que l’avait révélé Mediapart. 

Les étranges communiqués du GIA 

Le général Buchwalter, que le précédent juge en charge du dossier, Jean-Louis Bruguière, n’a jamais pris le temps d’entendre malgré l’insistance des parties civiles, a expliqué à la justice avoir recueilli, en 1996, le témoignage d’un ancien officier devenu chef d’entreprise en Algérie. « Quelques jours après les obsèques des moines [en juin 1996, NDLR], a expliqué le général français, il m’a fait part d’une confidence de son frère [qui] commandait l’une des deux escadrilles d’hélicoptères affectés à la 1re région militaire dont le siège était à Blida.» «Son frère, a poursuivi le militaire, pilotait l’un des deux hélicoptères lors d’une mission dans l’Atlas blidéen, entre Blida et Médéa», région dans laquelle se trouvait le monastère de Tibéhirine. «C’était dans une zone vidée et les hélicoptères ont vu un bivouac. Comme cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu’un groupe armé. Ils ont donc tiré sur le bivouac […] Une fois posés, ils ont découvert qu’ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles.» Le général Buchwalter a par ailleurs affirmé à la justice française en avoir informé à l’époque les autorités françaises, qui lui ont demandé, en retour, de se taire. Elles ont « observé un black-out demandé par l’ambassadeur [Michel Lévêque, NDLR] », a-t-il assuré.

Les sept moines français, qui appartenaient à un ordre cistercien, ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Le 16 avril, un communiqué du GIA, numéroté 43 et publié depuis Londres dans le quotidien Al-Hayat, revendiquait le rapt des religieux sous la signature de l’émir Abou Abderrahmane Amine, alias Djamel Zitouni. Deux mois après l’enlèvement, un second communiqué de Djamel Zitouni annonçait que les otages avaient été exécutés le 21 mai. Les têtes des Français, dont certaines ont été suspendues à des arbres dans des sacs en plastique, ont été retrouvées neuf jours plus tard. Dans sa demande de levée du secret-défense, le juge Trévidic écrit: «L’hypothèse de la mort par méprise des moines, si elle était avérée, ne manquerait pas de susciter bien des interrogations sur le communiqué du GIA du 21 mai 1996 revendiquant leur exécution.»

 

 

Une chronique des années de sang

 

Il poursuit son raisonnement avec un sens tout policier de la déduction: «Si la mort des moines est due à une méprise, cela signifie inévitablement, soit que le communiqué du 21 mai annonçant l’exécution des moines n’émane pas de Djamel Zitouni, mais dans ce cas l’on peut se demander pour quelle raison ce dernier n’aurait fait aucun démenti, soit que Djamel Zitouni a accepté d’endosser la responsabilité de la mort des moines, ce qui confirmerait alors des liens étroits avec les services algériens.» C’est pourquoi le juge cherche aujourd’hui à savoir si les services secrets français, en premier lieu l’ex-Direction de la surveillance du territoire (DST) ou
la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ont accumulé à cette époque des informations « sur les liens ou non entre Djamel Zitouni et des services algériens quels qu’ils soient ». La même demande a été faite aux services du ministère des affaires étrangères. Le magistrat a également réclamé au ministère de la défense la communication du rapport que le général Buchwalter affirme avoir rédigé et transmis à sa hiérarchie après ses découvertes.

Au moins deux anciens officiers algériens, Mohammed Samraoui et Abdelkader Tigha, défendent depuis leurs exils respectifs la thèse qui fait de Djamel Zitouni, ancien vendeur de poulets arrivé à la tête du GIA fin 1994, un agent à la solde du gouvernement d’Alger. Dans son livre Chronique des années de sang (Denoël), publié en 2003, le colonel Samraoui affirme que «la responsabilité des services secrets algériens est totalement engagée dans l’assassinat des moines trappistes». Il rappelle notamment que «les moines étaient connus et respectés dans la région de Médéa; ils apportaient régulièrement de l’aide aux islamistes qui avaient rejoint le maquis». Il a aussi précisé que «le 25 décembre 1993, un émir local du GIA, Sayah Attia, s’était rendu au monastère et avait scellé un aman (sorte de pacte d’honneur dans la religion musulmane) avec les moines: en échange de leur soutien – nourriture, médicaments, envoi de médecin pour soigner les blessés… –, il garantissait leur sécurité». Pour l’ancien agent secret algérien, aujourd’hui exilé en Allemagne, les moines étaient devenus «une cible pour les généraux». 

Les révélations d’un ancien agent secret 

Le même argument est développé depuis près de dix ans par un autre ancien militaire algérien, Abdelkader Tigha, qui a affirmé en 2002 au quotidien Libération, alors qu’il était emprisonné à Bangkok – il est aujourd’hui libre –, que les sept moines ont été enlevés sur ordre d’Alger par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS, les services secrets). Comme le colonel Samraoui, Abdelkader Tigha affirme en juin 2008, dans son livre Contre-espionnage algérien (Nouveau Monde éditions), que «ce qui dérangeait» l’armée algérienne n’était pas que les moines «restent là-haut, mais qu’ils soignent les blessés des groupes terroristes, qu’ils donnent asile et qu’ils offrent l’hospitalité».

Au journaliste de Libération qui l’avait rencontré en prison, Abdelkader Tigha avait surtout assuré dès 2002 que le bras droit de Djamel Zitouni, un certain Mouloud Azzout, officiellement «terroriste du GIA», a passé la nuit du 24 au 25 mars 1996 à la caserne du Centre territorial de recherche et d’investigation (CTRI) de Blida. C’est-à-dire vingt-quatre heures avant l’enlèvement des moines, dans la nuit du 26 au 27. Selon les déclarations de Tigha, deux fourgons ont quitté le CTRI de Blida le 26 mars 1996. «On croyait à une arrestation de terroristes. C’était malheureusement les sept moines qui venaient d’être kidnappés», a-t-il assuré, ajoutant que Mouloud Azzout les a interrogés sur place. Les religieux français auraient ensuite été emmenés sur les hauteurs de Blida au poste de commandement de Djamel Zitouni, au lieu-dit Tala Acha. Il n’aurait alors nullement été question de les tuer mais de leur «faire peur». Les moines auraient finalement été livrés à un certain Abou Mosaâb, le chef des groupes armés de la zone Blida-Bougara-Sidi Moussa-Baraki, malgré les réticences de Zitouni et Azzout. «Ils ont dû céder quand les lieutenants des GIA ont soutenu cette demande », selon Tigha. «Une guerre des chefs dont les moines vont faire les frais », écrit-il dans son livre de juin 2008. C’est donc en compagnie du groupe d’Abou Mosaâb que les sept Français auraient été tués, par erreur, par l’armée algérienne, à en croire les déclarations du général Buchwalter. Djamel Zitouni, devenu « gênant pour ses maîtres », selon les mots de Mohammed Samraoui, a quant à lui été éliminé en juillet 1996, un mois après l’enterrement des moines de Tibéhirine.

Commentaires

  1. baraka dit :

    Je soupçonne que ce juge Trévidic est bien manipulé comme il faut par les services de Sarkozy. J’ai hâte de voir la suite et la fin de ce dossier des moines en instruction.

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