Par Mohand Aziri El Watan
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De l’humour corrosif comme arme de dérision massive. «L’espérance de vie d’un journaliste algérien équivaut à celle d’un castor», le chroniqueur d’El Watan, Chawki Amari, ne croit pas si bien délirer.
«Le journaliste mène une vie dissolue. Il n’a pas ses médicaments parce que non déclaré à la sécurité sociale, il fume, boit beaucoup alors qu’il ne fait jamais de jogging à Bouchaoui. Le journaliste n’est pas comme un policier ou un chirurgien, il ne se réveille pas tôt alors qu’il meurt jeune, etc.» De la dérision comme traitement palliatif, comme cache-misère, il en faudrait certainement beaucoup pour arrondir les angles d’une profession mise sous surveillance étroite, vouée à la précarité socioprofessionnelle, à la misère intellectuelle. Mourir «jeune» dans la profession, une sacro-sainte règle ? Un désir enfoui ? Atteindre la barre des 55 ans – espérance de vie d’un journaliste dans le monde, d’après un rapport du Bureau international du travail – est déjà une «prouesse» en soi, un «bon score», un «cadeau du ciel», ironise un journaliste. «Heureusement d’ailleurs. Car je m’imagine mal supporter plus de 55 ans dans de telles conditions de travail.» Vivre comme la moyenne des Algériens, 72,5 ans (rapport du Cnes, 2008) ne lui paraît pas une «chose intéressante» ! Du cynisme ? il en faudrait certainement aussi pour pouvoir «tenir le coup».
Du moins, jusqu’au prochain «papier» ! Le comble pour un journaliste, dit-on, c’est d’être à l’article de sa mort, victime de «tueurs silencieux»: de diabète, d’hypertension – plus d’un tiers des journalistes algériens sont hypertendus, selon une enquête de la Forem –, de stress, de pression en tous genres… et même des suites du 144 bis du code pénal ! «Les journalistes meurent de tout, sauf de vieillesse et de mort naturelle », dixit Farid Allilat, ancien rédacteur en chef de Liberté, reporter chez Jeune Afrique. Précarisation, clochardisation, aliénation, humiliation, les professionnels des médias dissertent rarement sur leurs conditions de vie, se cachent souvent pour mourir !
Les conditions de vie, de travail des journalistes, qu’ils soient du secteur public ou privé, ne sont guère reluisantes. «Un bon journaliste est celui qui ferme sa gueule ou qui démissionne», souligne Samir, jeune reporter à la Radio nationale. «Cela fait six ans que je travaille au cachet. Plus de 12 heures de travail par jour pour un salaire qui ne dépasse pas les 22 000 DA. Plus de 60% des journalistes de la rédaction sont recrutés au cachet. Des postes précaires… C’est comme ça, l’Etat est le premier à enfreindre ses propres lois… Les mécontents n’ont qu’à bien se tenir ou se casser… » Ancien président de l’Association des éditeurs, également président du défunt conseil de l’éthique et de la déontologie, Zoubir Souissi déplore l’absence de système de protection sociale pour les journalistes. La pratique du journalisme est devenue de plus en plus difficile, constate-t-il. Qui en est responsable ? « La responsabilité est partagée entre éditeurs et pouvoirs publics. La responsabilité est collective dès lors que les entreprises de presse s’engagent très peu alors qu’elles devraient être plus regardantes sur les conditions de vie de leur personnel, notamment les journalistes. L’Etat se doit aussi de prendre en charge les revendications des travailleurs de la presse, surtout en matière de logement, de salaire, etc. »
Septembre 2009. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) lance son opération « trousseaux scolaires » au profit des journalistes et assimilés, et ce en partenariat avec le ministère de la Solidarité nationale. Les journalistes sont-ils tombés si bas (dans l’échelle sociale) au point de prétendre désormais à la charité publique ? Pour Chafaâ Bouaiche, journaliste dans Le Temps d’Algérie, ancien porte-parole du FFS, cette opération est une «énième humiliation» pour les professionnels des médias, un «camouflet pour les éditeurs». L’initiateur de la «Pétition contre l’humiliation de la presse» considère que si «les patrons de presse, qui profitent d’une manne publicitaire considérable, avaient fait bénéficier leurs personnels, on n’en serait pas amener à profiter de la générosité de l’Etat».