Malik Medjnoun, en grève de la faim depuis 21 jours, attend toujours son procès
Algeria-Watch, 16 juillet 2010
Malik Medjnoun est incarcéré depuis bientôt 11 ans, accusé de complicité d’assassinat le 25 juin 1998 de Lounès Matoub, l’un des chanteurs les plus populaires en Algèrie et que Malik vénérait. Il demande depuis des années à être jugé lors d’un procès équitable afin que son innocence soit établie et qu’il puisse enfin recouvrer la liberté.
Depuis le 25 juin 2010, date du 12 e anniversaire de l’assassinat de Matoub, il a entamé une grève de la faim pour qu’enfin les pouvoirspublics ordonnent ce procès. Ce n’est pas la première fois que Malik entame une grève de la faim pour que ses droits soient respectés. Alors que par le passé, le procureur du tribunal de Tizi-Ouzou et le directeur de la prison venaient le voir dans sa cellule pour le dissuader de prolonger sa grève de la faim, cette fois-ci, elle ne semble déranger personne tandis que Malik et avec lui Abdelhakim Chenoui, accusé du même crime, continuent de croupir dans leurs cellules.
Rappelons que Malik Medjnoun, jeune homme né en 1974, est détenu arbitrairement depuis le 28 septembre 1999. Il avait été arrêté dans la rue à côté du domicile familial à Tizi-Ouzou par trois agents des services de renseignements (Département du renseignement et de la sécurité, DRS) circulant à bord d’un véhicule banalisé. Il a été détenu au secret pendant près de 6 mois et gravement torturé. Le 2 mai 2000, il a été présenté au juge d’instruction près du tribunal de Tizi-Ouzou. Ce dernier l’a inculpé pour appartenance à un groupe armé et de complicité d’assassinat du chanteur Lounès Matoub le 25 juin 1998 lors d’une embuscade sur une route de Kabylie. Depuis, il attend d’être jugé. Malik Medjnoun a toujours nié les faits et le dossier à charge contre lui relève de la pure fabrication par le DRS. Ni la famille du défunt ni les présumés témoins n’ont été dupes de cette grossière manipulation.
La justice algérienne ne remplissant pas son rôle l’affaire de malik a été présentée au Comité des droits de l’homme de l’ONU qui a condamné l’État algérien en 2006 pour la détention arbitraire et la disparition de Malik Medjnoun et lui recommande « d’amener Malik Medjnoun immédiatement devant un juge pour répondre des chefs d’accusation ou le remettre en liberté, de mener une enquête approfondie et diligente sur sa détention au secret et les traitements qu’il a subis depuis son enlèvement le 28 septembre 1999 et d’engager des poursuites pénales contre les personnes responsables de ces violations (1) ».
Ces dernières semaines, des rumeurs ont fait état de procès prévu en juillet ou en octobre 2010 mais jusqu’à présent aucune information officielle ne confirme que Malik Medjnoun et Abdelhakim Chenoui seront jugé lors de la prochaine session criminelle.
Malik avait 25 ans quand il a été enlevé, il a été détenu au secret pendant six mois et subi des tortures sauvages, pour ensuite être emprisonné. Il a aujourd’hui 36 ans, il perd les plus belles années de sa vie mais surtout, il ne sait toujours pas quand il sera remis en liberté. A ce jour, en Algérie, personne n’a subi une détention préventive aussi longue que Malik Medjnoun et Abdelhakim Chenoui.
Nous rappelons ici les faits que nous avions déjà exposés en 2006:
Le 25 juin 1998 Lounès Matoub, chanteur kabyle très populaire, revient d’un déjeuner à Tizi-Ouzou vers son village. Il est en compagnie de sa jeune femme et de ses deux belles-sœurs. A près de 150 mètre du village de Talat Bounane, des inconnus armés arrêtent sa voiture qu’ils criblent de balles. Lounès Matoub est touché mortellement de 7 balles.
Pendant plus d’un an l’enquête sur cet assassinat, que la population impute tout de suite au pouvoir, piétine. Il y a bien une liste de suspects qui circule mais aucune investigation sérieuse n’est menée. En décembre 1999, la gendarmerie de Beni Douala remet un document à la famille de Lounès Matoub attestant qu’il avait été assassiné par un groupe armé non identifié.
Les évènements commencent tout de même à s’accélérer à partir de 1999 en raison des remous que suscite cette affaire non élucidée dans la région. Abdelhakim Chenoui un maquisard s’étant rendu dans le cadre de la « concorde civile » est arrêté le 19 septembre 1999 à Tizi Ouzou, le lendemain de sa reddition. Il est détenu au secret pendant six mois au Centre de Châteauneuf à Alger où il est affreusement torturé au chiffon et avec des chocs électriques. Il est sodomisé avec un manche à balai et suspendu par les coudes, ainsi que frappé à plusieurs reprises. Finalement, il finit par avouer avoir assassiné le chanteur Matoub Lounès, aveux qui sont filmés. Depuis, il est incarcéré à la prison de Tizi-Ouzou où il attend toujours son procès.
Malik Medjnoun est arrêté peu après, le 29 septembre 1999 alors qu’il ne figurait pas sur la liste des suspects.
En juin 2000 une reconstitution des faits est organisée sur les lieux du crime par le juge d’instruction. Mais ni les trois femmes présentes au moment de l’assassinat ne sont présentes, ni Malik Medjnoun, pourtant sur les lieux, n’est sorti de la voiture dans laquelle ils se trouve. Et la famille du défunt est formelle: Lounès Matoub s’était garé en contrebas de la route, ce qui signifie que quelqu’un lui a demandé de stopper. Or le chanteur, qui avait été enlevé quelques années auparavant par un groupe armé, était très prudent et ne se serait jamais arrêté devant un inconnu. Les personnes mentionnées sur la liste ainsi que Malik Medjnoun lui étaient inconnues. D’ailleurs ce dernier peut prouver qu’au moment des faits, il se trouvait dans un restaurant à Tizi-Ouzou.
Il faut insister sur le fait qu’il n’y a jamais eu de véritable enquête sur les circonstances de cet assassinat. Des personnalités politiques régionales et nationales prétendent savoir qui a commis ce crime mais n’ont jamais été auditionnés. L’avocat des deux suspects, Me Mahmoud Khelili, décédé depuis, avait demandé au juge d’instruction de les auditionner (voir sa lettre), en vain. Le procès des deux suspects a été reporté plusieurs fois.
Nouveau rebondissement de l’affaire lorsque le 27 février 2002 est arrêté Ahmed Cherbi, jeune homme de 21 ans, dont la famille a fait don à la fondation Matoub Lounès d’un terrain afin d’y ériger une stèle à la mémoire du chanteur assassiné. Menotté et un sac sur le visage, il est emmené au CTRI de Blida, l’un des plus redoutables centres de torture du DRS. Les militaires lui montrent les photos de cinq personnes, parmi lesquelles Medjnoun et Chenoui. Il doit avouer que son père et lui avaient été témoins de l’assassinat de Lounès Matoub et reconnu les meurtriers. En réalité, il ne connaissait ni l’un ni l’autre et allait les rencontrer pour la première fois plus tard en prison. Sous la torture et les pressions du chef du CTRI, M’henna Djebbar ainsi que du député du RCD Nourredine Ait-Hammouda, à diverses reprises présent dans le centre, il finit au bout de 40 jours par faire des aveux qui ont été filmés (Voir le témoignage). Après près de 10 mois passés en prison il est mis en liberté provisoire. Lors de son procès, en mars 2004, il a été acquitté. Mais son père, Hamid Cherbi, arrêté peu après lui, a écopé de trois ans de prison alors qu’au moment du crime, il travaillait à l’hôpital.
Ahmed Cherbi explique à la fin de son témoignage: « Mais il fallait que l’un d’entre nous soit condamné car sinon toute leur machination concernant l’assassinat de Lounes Matoub tombait à l’eau. Et sans ce mensonge, il aurait peut être même fallu libérer les deux suspects Chenoui et Medjnoun. »
Une Justice aux ordres
Il ressort du témoignage de Malik Medjnoun, recueilli le 9 mai 2000 par son avocat de l’époque, Me Rachid Mesli, qu’après avoir été enlevé dans la rue le 28 septembre 2000 il a été emmené vers une caserne au centre ville de Tizi-Ouzou où il a été torturé. Puis, il a été transporté dans le coffre d’une voiture vers Alger, située à près de 100 km de Tizi-Ouzou. Dans le centre du DRS de Ben Aknoun (Alger) dit « Antar », il est torturé pendant plusieurs jours: entre les coups, l’électricité, le « chiffon » et la faim, il finit par être transféré à l’hôpital pour éviter la mort, toujours au secret. Il réapparaît de sa détention secrète après plus de 6 mois.
Il a été présenté devant le procureur général de la Cour de Tizi-Ouzou le 4 et le 6 mars 2000 en même temps de Hakim Chenoui, considéré comme son complice, alors que les deux hommes ne se connaissaient pas. Après ces présentations Malik Medjnoun a été ramené au centre du DRS à la demande même du procureur. Pourtant celui-ci avait été informé de la détention au secret puisque le père de Malik Medjnoun avait porté plainte pour enlèvement et disparition le 2 octobre 1999. Le procureur n’a pas requis l’ouverture d’une procédure légale comme le dicte la loi dans un cas pareil.
Ce qui est frappant c’est que non seulement les deux inculpés ne se connaissaient pas mais tout au long de sa détention au secret Medjnoun ne sait pas ce qui lui est reproché. Durant les tortures et les interrogatoires, ses tortionnaires ne l’impliquent pas dans l’assassinat de Lounès Matoub. Il apprend au moment de sa comparution devant le juge d’instruction de Tizi-Ouzou qu’il est soupçonné d’avoir participé à ce crime.
Il a bien bénéficié d’une ordonnance de non lieu rendu par le juge d’instruction de Tizi-Ouzou faute de preuves, mais celui-ci a été infirmé par la chambre d’accusation. Suite à l’arrêt de la chambre d’accusation, tombé le 10 décembre 2000, l’affaire a été déférée devant le tribunal criminel.
Depuis le 2 mai 2000, il est en détention préventive à la prison civile de Tizi-Ouzou sans jugement alors que la loi prévoit que la détention préventive ne peut dépasser les 16 mois.
L’assassinat de Lounès Matoub n’a toujours pas été élucidé, les véritables assassins et commanditaires courent toujours alors que deux hommes croupissent en prison sans que leur culpabilité ait été établie.
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