Par El Mouhtarem
Chat échaudé craint l’eau froide. On a appris, à l’expérience, à rester circonspect devant les témoignages spectaculaires de mise en cause qui se dégonflent comme des baudruches, le détail fabriqué de toutes pièces qui sert à discréditer un ensemble vrai et établi. Telles sont mes préventions à l’égard du sieur Karim Moulay qui se présente, dans le film de Rivoire sur le crime de Tibhirine, comme un ex-agent du DRS.
La circonspection est d’autant plus de mise que Karim Moulay est sorti de l’anonymat en 2010 avec des «révélations» qui ressemblent davantage à des histoires à dormir debout qu’à des vérités. Du coup, on se demandait s’il n’avait pas pour mission de multiplier les sorties médiatiques pour s’imposer …témoin dans l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine.
On se retrouve dans le même modèle de ce qu’on pourrait appeler l’opération Hichem Aboud pour noyauter l’affaire Mecili et discréditer son volet judiciaire. Ancien chef de cabinet du patron de la Sécurité Militaire algérienne, Aboud s’est rendu en Allemagne pour rencontrer Mohamed Samraoui, ancien colonel du DRS et principal témoin dans l’affaire de l’assassinat du compagnon de Hocine Aït-Ahmed en avril 1987. De retour à Paris, l’ancien Betchine Boy, accorde une interview au Nouvel Observateur le 14 juin 2001 http://bit.ly/pHCiwx dans laquelle il affirmait qu’Ali Mecili avait été assassiné sur ordre de la présidence de la République. «C’est le capitaine Hassani qui m’en a parlé. C’était mon ami. Il est de mon patelin, pratiquement de la même tribu que moi, dans les Aurès. Hassani a pris en main l’affaire Mecili parce qu’aucun officier ne l’avait acceptée», a déclaré Hicham Aboud. Neuf ans plus tard, il est appelé par le juge en chargé de l’affaire Mecili, en sa qualité de témoin. On connaît la suite….
Karim Moulay, semble, lui, entrer en opération en 2010. Cet ancien vice-recteur de l’université Houari Boumediene d’Alger, fait ses premières «révélations» sur la chaîne El Hiwar http://bit.ly/p3D3Y5 Interrogé sur les massacres en Algérie, Moulay affirme que l’ordre de massacrer les populations de Beni Messous (en 1997) avait été donné par le général-major Toufik, patron du DRS depuis septembre 1990. «C’était un lieu idéal d’investissement pour la famille du général qui avait déjà des ateliers dans le quartier et qui avait besoin d’élargir leur business, surtout après avoir reçu beaucoup d’argent des banques et contracté des contrats juteux avec les Saoudiens et les Espagnols. Le neveu du Général Toufik, le dénommé Abdellatif, était déjà installé dans les lieux avec trois ateliers et avait urgemment besoin d’extension». Et d’ajouter: «Abdellatif était un ami, je lui rendais visite souvent dans ses ateliers à Sidi Youcef. Mais un jour il m’avait dit, au moment où il soudait les portes de ses ateliers, ne viens pas me voir entre le 2 et le 10 septembre en insistant la dessus ».
Il y a quelque chose de très gros dans l’assertion. Qui en Algérie peut vraiment croire que le DRS a besoin de tuer 200 personnes dans le seul but d’accaparer un terrain ? Cela relève de la fiction grotesque. Un coup de téléphone est suffisant pour changer le statut juridique du terrain et le libérer sans arriver à de telles extrémités. L’Algérie est déjà privatisée. Les massacres n’ont pas cette explication grossière qui, in fine, tend à en masquer les véritables raisons. Le massacre de Beni Messous entrait dans la bataille autrement plus significative et plus politique pour le contrôle, y compris par la terreur, de la population. Les habitants de Beni Messous devait «payer» pour leur soutien au FIS et la terreur était destinée à être «exemplaire». Le serviteur «civil» du pouvoir, l’idéologue Reda Malek avait théorisé cette démarche de politique-terreur en 1994 en décrétant, alors qu’il était chef de gouvernement, que la «peur devait changer de camp». Et le mot d’ordre a été suivi par la pratique. On est bien dans le registre politique, dans une stratégie d’un régime destinée à montrer sa colère à une population qui a voté pour le FIS. Sortir de ces motivations politiques fondamentales est un premier pas pour créer les conditions d’une «opération discrédit».
Qui peut vraiment croire que le patron du DRS a besoin de massacrer des gens pour s’accaparer une parcelle de terrain ? C’est une plaisanterie ridicule. Grosse ! Tellement grosse que le sieur Karim Moulay se laisse aller à nous présenter un général-major Toufik très bavard, entrain d’informer ses neveux de tous ses projets y compris le massacre des populations. «Abdellatif (…) un jour m’avait dit, au moment où il soudait les portes de ses ateliers, ne viens pas me voir entre le 2 et le 10 septembre en insistant la dessus». Abdelatif était donc au courant du massacre qui allait avoir lieu le 5 septembre 1997 ? Pas facile d’y croire.
Plus tard, l’invité d’El Hiwar affirme qu’en mars 1997, sur l’autoroute de Zeralda, sept citoyens avaient été assassinés par un groupe armé. Il affirme qu’il était sur les lieux. Avec Abassi dit Abdelkader, son officier traitant, et quatre de ses acolytes, ils revenaient d’un bar et ils avaient décidé cette nuit là de dresser un faux barrage. Ils s’étaient, excepté lui, déguisés en islamistes, avec des barbes et des «kamiss» afghans, et ils avaient arrêté deux véhicules sur l’autoroute. Les sept passagers avaient été mitraillés après qu’on les ait fait descendre de leurs voitures. «Notre chef Abassi disait qu’en poussant la barbarie à l’extrême, nous aurons le soutien des occidentaux», déclare Moulay. Là aussi on ne comprend pas comment tous les agents s’étaient déguisés en islamistes sauf Moulay qui n’était pourtant pas leur chef ? Massacrer 7 personnes pour «avoir le soutien des occidentaux» après une sortie d’un bar ne peut être que le fruit de l’imagination de Karim Moulay.
Août 2010, l’ex agent des services secrets, affirme, dans une déclaration à l’agence Al Qods press, http://bit.ly/o919U4 que c’est le DRS qui est à l’origine de l’attentat terroriste sur l’hôtel Atlas Asni à Marrakech en août 1994. Moulay a avoué qu’en avril 1994 il avait été dépêché par les services secrets algériens pour préparer les attentats en question.
Karim Moulay qui était à une dizaine de mètres de l’hôtel Asni le jour de l’attentat, toujours selon ses déclarations, quittera Marrakech un jour plus tard en direction d’Oujda. C’est là qu’il sera arrêté par la police des frontières marocaine avec des photos du lieu du drame. L’homme arrivera finalement à quitter le Maroc en glissant un généreux pot de vin à un policier marocain.
Encore une histoire à dormir debout ! Pourquoi les autorités marocaines qui, pourtant accusent les services algériens d’avoir commis l’attentat, n’ont pas sauté sur l’occasion que Moulay leur a offert pour revenir à la charge ? Qui peut croire que les Services algériens chargent un simple indicateur de préparer des attentats dans un pays étranger ? En outre, en 2010, au moment où il fait ses déclarations sur l’attentat de Marrakech de 94, il était établi que Driss Basri en accusant les services algériens avaient fait complètement fausse route et a donné au gouvernement algérien une opportunité majeure pour fermer les frontières.
Finalement, avec ces sorties médiatiques et ces «révélations», Karim Moulay réussit à attirer l’attention de Jean Baptise Rivoire auteur du film sur le crime de Tibhirine, diffusé récemment pas la chaîne française Canal+. Dans son témoignage, Moulay affirme qu’après l’attentat du RER B à Saint-Michel qui s’est déroulé le 25 juillet 1995 http://bit.ly/nWwveY son chef les a invités à un dîner où il y avait du vin et de la bière. «C’était pour célébrer les attentats», déclare Moulay. Et d’ajouter: «Notre équipe à réussi son coup ».
Nous savons que les agents du DRS sont cyniques, mais, à mon avis, pas au point de célébrer un attentat avec du vin et de la bière et de faire «Tchin-Tchin», comme le raconte Moulay, dont le rôle est semblable à celui de «Wlid Khal Moul lbache».
Concernant l’assassinat des moines de Tibhirine, Moulay affirme avoir assisté à la dernière réunion avant l’enlèvement des 7 religieux. «J’ai assisté à la réunion au CTRI de Blida qui s’est tenue deux ou trois jours avant l’enlèvement des moines», affirme le témoin de Rivoire. Interrogé sur les présents à la rencontre, il dit qu’il y avait son chef (Kherfi) et un autre officier. Questionné sur la présence du général Smail Lamari, ancien patron du contre-espionnage, Moulay affirme avoir vu un homme qui rentre et il semble que c’est Smain. Il est à s’interroger comment un agent associé à une réunion aussi importante ne connaisse pas Smain Lamari.
Par ailleurs, tout comme Aboud qui affirmait dans l’affaire Mecili que le commanditaire Rachid Hassani, était son ami, Karim Moulay, affirme, dans une interview à Kalima Dz http://bit.ly/qaTDP6 que son témoignage sur l’assassinat des moines de Tibhirine, il le tient directement de membres du commando qui l’ont exécuté. «Quatre d’entre eux, étaient des types avec qui je travaillais. Je vivais avec eux. On partageait beaucoup de choses. Ils ne m’ont rien dit avant, ils m’ont parlé après. Ils m’ont dit ils l’ont fait. On les a tués. A l’intérieur du CTRI de Blida. Quand je dis je connais les noms, je parle des vrais noms et non pas des pseudo. Je suis disposé à témoigner et à communiquer les noms et les informations à la justice». La finalité est donc d’arriver à faire de Moulay Karim un témoin principal dans l’affaire des moines, puisqu’il détient les noms des assassins et qu’il est prêt à les communiquer à la justice.
L’avenir nous dira s’il ne s’agit pas d’un témoin qui n’a rien vu (Chahed machafche Hadja) qui campe le rôle d’un témoin «principal» avant de faire un retournement spectaculaire….
J’avoue que je suis plus que circonspect. Sifaoui, Aboud, … et d’autres ont montré qu’il existait des manœuvres relativement sophistiquées pour miner les dossiers graves dans lesquels le régime algérien est, politiquement, impliqué jusqu’à la moelle. Ces manœuvres peuvent être mises sous le chapitre «Opération discrédit» des dossiers sur lesquels le régime algérien est très fortement impliqué.