Marche des étudiants le 25 janvier 1994 à Alger, témoignage de Saddek Hadjou
Le 25 janvier nous renvoie constamment à la fameuse marche de 1990 organisée par le Mouvement Culturel Berbère (MCB) à Alger pour la revendication traditionnelle à savoir la reconnaissance de Tamzazight comme langue nationale et officielle. A l’université d’Alger, la contestation berbériste et démocratique s’est focalisée, pendant une grande partie des années 90, autour du collectif culturel indépendant Tagharma (civilisation) qui agissait à l’université de Bouzaréah, rebaptisée, quelques années plus tard par les étudiants, «Université Mouloud Mammeri». Dans cette contribution, je souhaite revenir sur les préparatifs de la commémoration de la journée du 25 janvier 1994 à Alger.
Le collectif culturel Tagharma, par le biais de ses animateurs, a pris l’initiative de contacter d’autres collectifs, déjà existants et quelques étudiants, pour les associer à cette grande manifestation démocratique et pacifique. Des réunions de préparation et de concertation ont été organisées à la cité universitaire de Bab Ezzouar, Hydra, campus de Bouzaréah, Fac centrale…pour arriver à établir un consensus entre les différents acteurs et sensibilités politiques de l’époque. Mon ami Khaled Tazaghart a beaucoup œuvré dans ce sens pour constituer un large rassemblement. Notre objectif était de créer un événement médiatique sur Alger où l’état d’urgence est instauré depuis deux ans, et enfin donner une dimension nationale à la revendication berbère en organisant une manifestation dans la capitale pour briser le mur de la peur. En janvier 1994, quelques journalistes étrangers étaient à Alger pour couvrir un événement organisé par le pouvoir algérien.
Nous avons par la suite concentré toute notre énergie sur la communication pour informer le plus largement possible, au sein des campus universitaires, cités universitaires et les différents quartiers d’Alger. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur les animateurs des collectifs culturels, des militants habitants les quartiers d’Alger (Delly Brahim, Bab El oued, Ben Aknoun, Bab ezzouar, Alger-centre, Sidi M’hammed….) et enfin, nous avons sollicité l’apport et l’aide des camarades militants de partis politiques proches de nous (FFS, PST, PT…). Avec toutes les difficultés rencontrées et risques encourus, l’information est bien passée. Les autorités ont essayé, maintes fois, de nous dissuader par toutes sortes de pression et d’intimidations à notre encontre (menaces verbales, envoi des émissaires, rumeurs sur la répression…). Malgré notre jeune âge et notre inexpérience, nous croyions à notre combat, ce qui nous a aidé à tenir et à maintenir notre initiative et notre détermination pour réussir cette fête démocratique en plein centre d’Alger.
Au matin du 25 janvier 1994, moi et mon ami Khaled, nous nous sommes réparti les tâches. Lui est allé le matin même à Alger pour accueillir les étudiants venant de BEZ et d’autres campus, tandis que moi je suis resté à Bouzaréah pour organiser les actions et accompagner les étudiants vers Alger. Le RDV est fixé pour 12h30 à coté de la fac centrale. A Bouzareah, il fallait se battre pour avoir un moyen de transport, le responsable de RSTA -sur instruction du coordinateur du campus- a refusé de mettre à notre disposition un bus. Attitude habituelle de cet ancien militaire, qui souhaitait gérer le campus comme une caserne. Nous avons essayé de négocier avec lui pour trouver une solution, mais c’était l’impasse. A partir de là nous avons procédé au blocage et la fermeture du portail du campus, une pratique malheureusement habituelle pour débloquer la situation. Une fois le fait accompli et après quelques rudes renégociations avec le responsable dela RSTAet le coordinateur de l’université, on a réussi à avoir un grand bus pour rejoindre nos amis à la fac centrale.
Tout au long du trajet nous chantions et nous reprenions des slogans hostiles au pouvoir tout en réitérant nos revendications habituelles. Arrivés à la place Audin à Alger, un comité d’accueil nous attendait. Il était constitué de policiers en uniforme et en civil, pour nous inviter gentiment mais sûrement à monter dans le camion des flics. La sélection des personnes à arrêter fut très discriminatoire et raciste, les agents de police ont procédé à des arrestations sur les bases géographiques et linguistiques. En clair, tous les étudiants qui présentaient leur carte d’identité mentionnant Tizi Ouzou, Béjaia, Bouira…ou qui parlaient arabe avec un accent kabyle étaient systématiquement arrêtés. C’est comme ça que je me suis retrouvé dans ce camion avec une trentaine d’étudiants, deux agents se sont mis dans la cabine du chauffeur et nous invitaient à venir les voir à tour de rôle, pour leurs donner les informations utiles à leurs fiches. Alors, discrètement j’ai demandé à tous les étudiants qui étaient avec moi d’assumer leurs actes et d’affirmer aux flics le but de leur venue à Alger, à savoir participer à la manifestation du 25 janvier. Grande fût ma surprise en entendant un bon nombre de ces étudiants, par lâcheté ou par peur, esquiver cette réponse en affirmant autre chose. Nous avons passé pratiquement tout l’après-midi dans ce camion, nous suivions à partir des fenêtres grillagées les affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants autour de la fac centrale, et cette scène a duré pratiquement tout l’après-midi. Une fois le calme revenu, les forces de l’ordre nous ont relâchés. J’ai rejoint l’arrêt de bus pour rentrer à la cité universitaire. Là j’ai su que mon ami Khaled Tazaghart avait été violement arrêté par les flics à l’entrée de la fac centrale. Ces derniers l’avaient mis dans le coffre de leurs véhicules. Il se trouvait vraisemblablement au commissariat de Cavaignac.
Dans la soirée Khaled a été relâché avec d’autres camarades. Il a écopé d’une convocation au tribunal pour quelques chefs d’inculpations et pas des moindres: atteinte à la sûreté de l’Etat et incitation à des rassemblements illicites sur la voie publique. Des accusations très graves, avec lesquelles il risquait au minimum 5 ans de prison. La situation était grave, il fallait réagir vite pour soutenir notre camarade et démontrer une fois de plus au pouvoir en place qu’on ne s’incline pas devant les intimidations et les menaces. Avec quelques amis de Bouzareah et surtout de BEZ, nous avons pris l’initiative de riposter à cette injustice en organisant une occupation de la fac centrale et par la suite en entamant une grève de la faim. (Suite dans un autre article)
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