Par Salah-Eddine Sidhoum, Algeria-Watch, 11 janvier 2009
A la mémoire de toutes les victimes du drame Algérien provoqué par l’inconscience des imposteurs.
Il y a 17 ans, le pouvoir illégitime d’Alger décidait de mettre fin aux balbutiements de la démocratie naissante en Algérie. Après avoir « octroyé » une pseudo-ouverture démocratique et organisé elle-même des élections législatives, l’oligarchie militaro-financière décida, un certain 11 janvier 92, par la force des armes, de renverser les urnes et de bafouer la volonté populaire qui venait de légitimer les trois fronts (FIS, FFS et FLN) et de leur remettre les destinées du pays pour une durée de 5 ans.
Par ce geste criminel et irresponsable, le pouvoir allait plonger le pays et la Nation dans les abysses d’une mer de sang et de larmes. Par ce geste scélérat, il fermait la porte à une ère nouvelle : celle de l’alternance au pouvoir et de l’auto-construction politique démocratique, avec toutes les insuffisances que pouvait comporter cette dernière.
Au message du peuple par les urnes, lui signifiant sa retraite, le pouvoir illégitime répondra par la violence politique et la répression sauvage. Pour sauvegarder ses énormes et illicites privilèges, il n’hésitera pas à déclencher une véritable guerre contre une partie du peuple, avec la complicité toute aussi criminelle d’une certaine classe boulitique, préfabriquée dans les officines, d’une certaine « élite » intellectuelle de la « société servile », issue des mêmes laboratoires – en lieu et place de la véritable société civile marginalisée et terrorisée – et d’une certaine presse obséquieuse et mercenaire qui n’était pas sans nous rappeler la Radio des Mille collines rwandaise.
Cette violence sauvage du pouvoir entrainera une contre-violence aveugle d’une jeunesse sans présent ni avenir à qui il donnait l’occasion de libérer, tel un torrent en furie, ses frustrations et sa haine à la fois contre le régime et sa propre société.
Des « analystes » politiques et autres « intellectuels » de service seront mobilisés après ces élections législatives avortées pour nous expliquer, chiffres et pourcentages farfelus à l’appui et par des calculs d’épicier, que seule une infime partie du peuple avait voté et que ceux qui avaient voté …….ne représentaient pas le peuple ( ?!!).
Une véritable tchektchouka politico-intellectuelle, dégoulinante de lâcheté et de larbinage. Nous n’entendrons pas ces pseudo-intellectuels et ces « analystes » lors des « élections » législatives de 1997 et de la fraude massive et criarde qui les entachèrent, « élections » qui porteront une monstruosité politique âgée d’à peine 3 mois au « pouvoir ». Tout comme nous n’entendrons pas cette même « élite » s’indigner des dernières « élections » législatives de mai 2007 où seulement 12% du corps électoral s’exprimait ! Personne n’avait fait appel alors aux blindés. La raison en était simple : ils ne répondent qu’à la VOIX DE LEURS MAITRES ! Et les intérêts illégitimes de leurs « maîtres » n’étaient pas en danger en 97 et 2007, comme ils l’étaient en décembre 91.
Ce qui se produira après l’acte irresponsable du 11 janvier 1992 dépassera tout entendement. Il est maintenant certain que durant la récréation pseudo-démocratique (88 – 91), l’oligarchie avait déjà concocté son plan de guerre contre ceux qui auraient l’impudence et l’imprudence de remettre en cause son illégitimité par la voie des urnes. C’est ce que les putschistes appelleront pompeusement et toute honte bue, le « plan d’action global ». Un plan de très «haut niveau », selon l’un des auteurs du pronunciamiento, qui coûtera très cher au peuple et au pays. Il est vrai que « comme toujours, à la veille des grands drames, l’INCONSCIENCE domine ».
Nous nous lasserons jamais de rappeler le bilan humain effroyable de cette guerre cachée : Plus de 200 000 morts, près d’un million de blessés (dont des milliers d’handicapés à vie), près de 10 000 disparitions forcées, 30 000 torturés, plus de 50 000 prisonniers, 15 000 citoyens déportés dans des camps de concentration de l’extrême Sud, des dizaines de milliers de veuves et d’orphelins, plus de 500 000 exilés. Une véritable hécatombe !
De véritables crimes contre l’Humanité, imprescriptibles, que n’absoudra aucune charte d’autoamnistie et de fausse réconciliation aujourd’hui et demain, malgré tous les artifices politico-juridiques des criminels et de leurs protecteurs.
Un coup d’Etat pour quels résultats ?
La démocratie a-t-elle été sauvée par les « janvièristes » ? Que non ! Pour la simple raison que cette démocratie n’avait jamais existé depuis 62 pour être défendue ou sauvée.
L’Algérie a-t-elle été sauvée de la « barbarie » dite islamiste ? Que non ! L’opposition armée aveugle, malgré la réduction de sa nuisance, persiste et continue d’être alimentée par la hogra institutionnalisée. Ses « kamikazes » continuent d’emporter des dizaines de victimes innocentes. Et notre Algérie entre dans sa 18e année de violences politiques.
Qui a souffert de cette barbarie programmée ?
Il est clair que c’est la population sans défense qui fut, toutes couches sociales confondues, la proie de cette violence inouïe de tous bords qui se déchaina sur le pays.
Ce sont les citoyens des quartiers populaires qui furent la cible de la vague de répression (arrestations arbitraires, déportations, disparitions forcées, tortures, exécutions sommaires).
Ce sont les citoyens des quartiers populaires qui seront les victimes des groupes armés se réclamant faussement de l’islam (policiers intègres, appelés du service militaire, fonctionnaires civils des services dits de sécurité, malheureux miliciens trompés par des seigneurs de guerre…..).
Ce sont les citoyen(ne)s des quartiers populaires qui seront la cible des diaboliques manipulations criminelles (massacres collectifs, campagnes de viols….). A-t-on un jour attaqué les nouveaux quartiers de la lumpenbourgeoisie qui s’est enrichie en déplumant les Algériens ? Jamais !
Et ce sont les humbles intellectuels et politiques, issus des quartiers populaires qui seront les victimes d’attentats plus que suspects (Sebti, Djaout, Boucebci, Fathallah, Mekbel, Yefsah, Mahiou, Hachani, Hambli, Benboulaïd…….). Et la liste est longue, très longue.
Ce sont aussi de valeureux, d’humbles et dignes officiers, enfants de l’Algérie profonde qui seront assassinés (lieutenant-colonel Redha Sari-Redouane, lieutenant-colonel Abdelillah Kara-Slimane, commandant Mourad, général Boutighane, colonel Meraou Djilali…….).
Les sinistres GIA ont-ils attenté à la vie des tortionnaires et autres criminels de Haouch Ch’nou, Châteauneuf, Antar, Magenta ou Bellevue ? Jamais !
Ce sont les modestes outils de travail des ouvriers (usines publiques en faillite et misérables coopératives) qui seront détruits par les bombes des criminels privant des milliers de familles d’un modeste revenu et favorisant les barons mafieux de l’Import. Les usines de prête-noms de l’oligarchie ont-elles subi le moindre dégât ? Jamais !
Qui a profité de cette décennie de sang et de larmes ?
Il est indéniable que l’oligarchie militaro-financière reste la grande bénéficiaire de cette guerre sans nom. Aucun de ses membres n’a été touché par la violence politique. Aucun de ses biens n’a été touché par les groupes armés. Bien au contraire, ses affaires commerciales ont grandement prospéré. Cette guerre qu’on a voulu cacher au monde, tout en appauvrissant une très grande majorité de la population, a créé des centaines de nouveaux milliardaires, ceux que le « ghachi » auquel nous appartenons appelle à juste titre les Beggarines.
En rappelant ces faits, il ne faudrait surtout pas que certains de nos compatriotes pensent que les aiguilles de notre montre se sont arrêtées à cette période sombre de notre Histoire. Il est toujours utile de relire cette dernière car « quand on oublie l’Histoire, on risque de la voir se répéter ». Tout comme l’Histoire « n’est pas seulement des faits, mais les leçons que l’on tire ».
Quelles leçons tirer de notre drame national et de près d’un demi-siècle d’indépendance inachevée et de néo-colonisation indigène ?
Le régime illégitime a montré ses limites après 46 ans de pouvoir sans partage. L’échec du système politique mis en place depuis 1962 est patent et sur tous les plans. Ce système a disposé de l’Algérie comme d’un butin de guerre. Ses multiples « politiques » menées sans la participation du peuple n’ont abouti qu’à d’amères et terribles désillusions. Malgré son état de déliquescence avancée, le pouvoir haï et coupé des réalités refuse obstinément de partir. Il est prêt à tout pour se maintenir. Il n’a pas hésité à faire couler le sang de ses propres concitoyens pour sauver ses privilèges.
Tout comme le coup d’Etat de janvier 92 a clairement montré qu’il n’était pas question pour le pouvoir en place de se plier à la volonté et à la souveraineté populaires, que même la démocratie sélective et conditionnelle octroyée en 1988 n’était que supercherie et qu’en réalité on ne pouvait toucher aux fondements du système militaro-financier et à son exercice du pouvoir réel. Beaucoup d’observateurs s’accordent maintenant à dire que la victoire du FIS ne fut qu’un alibi dans l’arrêt du processus d’autodétermination des algériens. La Constitution de 1989 était dotée de solides garde-fous que le président du pouvoir apparent de l’époque pouvait actionner pour empêcher tout dérapage du parti majoritaire. La conviction de beaucoup de citoyens est que tout autre courant politique légitimé par la volonté populaire à travers le suffrage universel aurait subi le même sort. L’assassinat ignoble de Mohamed Boudiaf qui voulait prendre ses distances vis-à-vis de l’oligarchie qui l’avait ramené, est un autre exemple de la nature funeste et des intentions crapuleuses de cette dernière.
Il serait malhonnête de dire que seule l’oligarchie militaro-financière est responsable de cette tragique situation. Honnie et vomie par une grande partie de la population, elle n’aurait jamais pu se maintenir au pouvoir après une telle faillite sanglante, sans la complicité d’une certaine classe boulitique et d’une certaine « élite » dite intellectuelle, celle de l’allégeance et de l’aplat-ventrisme.
La supercherie démocratique d’octobre 88 et le drame vécu après janvier 92 ont mis à nu, non seulement la nature réelle du régime et l’état de déliquescence de la société mais aussi l’absence d’une véritable classe politique et intellectuelle. Tout n’était qu’apparences, gesticulations, hurlements et duperies. Nous avons toujours dit et répété que l’Algérie n’était pas seulement malade de son régime mais aussi de ses élites.
Actuellement, les citoyens ne se reconnaissent plus dans les formations politiques préfabriquées, les institutions factices et les administrations corrompues. Tous les canaux de l’expression libre et pacifique ont été obstrués. La violence et l’émeute sont devenues les seuls moyens de se faire entendre par notre jeunesse.
A cela s’ajoute l’avilissement d’une société qui a perdu tous ses repères et le profond délitement des valeurs de la Nation, valeurs qui avaient fait la force de nos parents lors de la résistance à la colonisation.
Les tensions de plus en plus exacerbées entre le système obsolète et arrogant et la société déréglée et poussée au désespoir par des décennies d’injustice et de mépris risquent de provoquer, à Dieu Ne Plaise, à n’importe quelque moment un véritable Tsunami populaire qui emportera non seulement ce régime moribond mais tout le pays.
Je crois, à mon humble avis, que ce climat de soumission et de fatalisme que vit notre population dont une partie non négligeable baigne dans la misère, cette faillite d’une grande partie de nos élites et de la classe politique, le mépris de cette minorité de nouveaux riches au pouvoir se comportant en nouveaux colons, l’absence de représentativité réelle du peuple du fait du trucage des élections, n’est pas sans nous rappeler le climat qui régnait la veille du 1er novembre 54.
Doit-on rester impassibles devant la dramatique dégradation de la situation nationale et ces graves dérives qui mettent en jeu l’unité de la Nation ? Doit-on rester les bras croisés et attendre l’explosion ?
Est-il possible de remonter la pente, après pratiquement cinq décennies de gabegie, de corruption, d’absence d’Etat régulateur et avec une société en décomposition et plongée dans une politique d’automutilation?
Sommes-nous capables, de mettre de côté nos divergences artificiellement entretenues et nous entendre sur un ensemble de valeurs et de principes démocratiques, en vue de la construction de l’Etat de Droit dans une Algérie de toutes et de tous ?
Sommes-nous capables, de créer une véritable dynamique populaire en vue d’un changement du système politique, au vu des multiples écueils, de la démobilisation d’une société désabusée, démoralisée où l’individualisme et la « kfaza » sont érigés en vertus ?
Autant de questions que se posent légitimement beaucoup de nos compatriotes.
Il est temps que les volontés sincères intellectuelles et politiques assument leurs responsabilités. Le moment est venu d’engager le véritable combat politique pacifique ouvertement et courageusement. Et pour reprendre Vaclav Havel « les seuls combats qu’on risque de perdre sont ceux qu’on n’ose pas engager ». Il est plus que nécessaire de reconstruire une véritable opposition afin de mener le combat du changement.
La conférence de Genève de novembre 2008 a été un tout petit pas vers cette reconstruction. D’autres compatriotes œuvrent à l’intérieur, au rassemblement de toutes les volontés sincères autour de valeurs et de principes démocratiques acceptés et respectés par tous.
Je crois qu’il est impératif de stopper cette logique d’autodestruction dans laquelle le régime a claustré la société.
Il est tout aussi impératif de briser le cercle vicieux dans lequel est enfermée l’Algérie depuis 1962, à savoir celui d’un peuple sans souveraineté et d’un pouvoir sans légitimité. L’ère des tuteurs en col blanc ou en képi est révolue. Il est temps de mettre un terme à ce régime usurpateur et dégénéré qui perdure maintenant depuis plus de quarante ans et de rendre la parole aux citoyennes et citoyens pour qu’ils puissent choisir souverainement et librement les institutions qui reflètent leurs réalités socioculturelles.
Unissons nos efforts toutes et tous ensemble, sans exclusion aucune, pour aboutir à un compromis politique historique en vue d’un changement pacifique et radical du système politique et de la construction d’un Etat de Droit.
Si nos parents, hier, ont libéré la patrie (El Watan) du joug de la colonisation française, il est de notre devoir aujourd’hui de libérer le citoyen (El Mouwatine) de cette néo-colonisation indigène et d’achever la réalisation des objectifs de notre mouvement de libération que sont l’instauration d’un Etat de Droit, le respect des libertés fondamentales et la construction du Maghreb. Hier, nos aînés se sont regroupés, toutes tendances confondues, au sein du Front de libération (Djabhat Etahrir) pour chasser l’occupant colonial. Aujourd’hui, nous devons nous regrouper, sans exclusion aucune, au sein d’un Front du changement (Djabhat Etaghyir) pour instaurer un Etat de Droit.
Nous n’avons pas le droit, en tant qu’intellectuels et politiques, de fuir nos responsabilités. L’Histoire, implacable, nous jugera sévèrement demain !
«Les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes.»