Rosa Meneses (Envoyée spéciale d’El Mundo) Alger. 9 avril 2009
Comme imprégnée de la personnalité schizophrène de l’Algérie, El Mouhtarem aussi mène une double vie. Une, cachée, pour gagner sa vie et l’autre, libre, pour nourrir son esprit effervescent. Journaliste dans un journal qui suit la ligne officielle du régime, il ne donne libre cours à sa véritable identité qu’une fois seul à la maison, connecté à internet. El Mouhtarem est l’un des blogueurs qui ont le plus de succès en Algérie. Et son blog est rapidement devenu un forum de discussion critique du pouvoir établi.
«Je sais que je vis une sorte de schizophrénie de laquelle je ne peux pas sortir sans devenir fou. Mais cela fait partie de la schizophrénie collective que nous vivons, nous les Algériens », a affirmé El Mouhtarem, le pseudo qui cache la véritable identité de cet intellectuel algérien. Il parle d’une Algérie qui est divisée entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui rêvent de la démocratie promise tant de fois.
En pleine immersion dans la «course» pour les élections présidentielles qui se tiendront ce jeudi, les deux « Algéries » s’apprêtent à mesurer leurs forces. L’une s’efforce de faire respecter les élections où il y a six candidats, bien qu’un seul, le président actuel, Abdelaziz Bouteflika, a des chances de gagner. L’autre, lutte pour survivre au jour le jour pour ne pas tomber dans l’apathie et le désespoir.
Entre les deux, les partis d’opposition qui ont appelé à l’abstention pour ne pas participer à l’élection dont les résultats, disent-ils, sont déjà connus à l’avance. Le FFS défend l’option du boycott depuis que Bouteflika a été élu président. Il est rejoint cette année par le parti du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), dont le leader, Saïd Sadi, s’est présenté aux élections de 2004. Et d’autres figures politiques, comme Abdallah Djaballah, ex dirigeant du parti islamiste El Islah, également candidat en 2004, qui a déclaré que “La scène politique est fermée depuis une dizaine d’années».
L’Internet est un atout pour le boycott : il échappe au contrôle de l’appareil du pouvoir. Catalyseur des opinions, le réseau a réussi à créer un espace où les Algériens puissent s’exprimer sans crainte de représailles. Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs d’entre eux peuvent exercer une liberté qui, dans le monde réel, leur coûtera leur emploi. Comme c’est le cas d’El mouhtarem lui-même.
Dans la constellation des pages qui appellent au boycott on peut mettre en lumière www.boycott-dz.com qui combine un design jeune et frais avec des articles et des opinions des internautes. Il a atteint au moins 70.000 visites. Il y a aussi un groupe pour l’abstention sur Facebook. Le blog d’El Mouhtarem, www.ffs1963.unblog.fr, a un design simple et fonctionnel, mais il est un de ceux qui ont le plus de visites sur le web. En 18 mois, le site a reçu un million d’utilisateurs à raison de 4.000 visites par jour.
«Mon intention est de provoquer un débat et de créer un forum où les gens peuvent s’exprimer librement”, dit-il à El Mundo dans un café de la rue Didouche Mourad, la principale artère du centre-ville d’Alger. L’accès à Internet est libre en Algérie, où il n’ya pas de pages bloquées par le gouvernement, comme en Tunisie. “On dit qu’ils ont déjà mis au point un système pour bloquer les sites web, comme ils le font en Chine. On utilisera comme excuse la cybercriminalité et la présence du mouvement djihadiste sur internet en vue d’interdire certains sites qui n’ont rien à voir avec ça”, dit-il.
Eveiller les jeunes :
Pendant ce temps, la réalité rappel à l’ordre toute réussite virtuelle. Fateh et Imad connaissent très bien la situation. Etudiants à l’Université d’Alger, ils passent l’après-midi à sensibiliser leurs pairs. « Je milite pour un boycott actif, pour convaincre les gens de ne pas entrer dans le jeu de ce système mafieux et clientéliste», explique Imad. Il raconte que les conditions dans lesquelles les étudiants universitaires étudient sont « catastrophiques », accusant un manque écrasant de ressources. Les bourses d’études ne parviennent à rien: 9 euros par mois. On peut demander cela à, Imad, lui qui porte de vieilles chaussures usées.
La valeur de ces jeunes militants de la démocratie et des droits civils est admirable. Ils travaillent sans relâche à l’amélioration de l’environnement et à sensibiliser les élèves qui ont tous un rôle à jouer, la lutte contre la dépolitisation de la société. « Nous avons assisté à une folklorisation de la politique», a déclaré Fateh, 25 ans, montrant les bus universitaires arborant des portraits de Bouteflika.
Alors que la publicité politique est interdite au sein du campus, sur les murs des bâtiments il y a des affiches du candidat-président. Elle est la seule figure qui apparaît. Aucune trace des cinq autres candidats. Les jeunes ont essayé, hier après-midi à l’université de Ben Aknoun (banlieue d’Alger), la distribution des publications du parti du Front des Forces Socialistes (FFS), qui prône le boycott du scrutin comme un «acte révolutionnaire».
En présence d’un policier, qui a également empêché les journalistes d’accéder au campus afin de vérifier les conditions dans lesquelles les jeunes Algériens étudient, les militants ont dû abandonner leurs efforts. «J’ai perdu la foi. Nous nous sommes mis en point de mire, tu vois ton nom fiché par la police et tu vois comment ils détruisent tes études … Nous avons les mains liées », avoue Fateh.
Traduction de B.B