ABDELKADER TIGHA, ex-sous-officier algérien réfugié aux Pays-Bas
Il A TRAQUÉ pendant huit ans les terroristes du groupe islamiste armé (GIA) en Algérie. Durant ces années noires, Abdelkader Tigha a perdu un frère et vu de près tortures et disparitions. Ecoeuré, le jeune sergent quitte à l’époque son pays, les services algériens à ses trousses.
Après un périple qui l’amène de Tunis à Bangkok, il se réfugie dans la banlieue d’Amsterdam. Dans un livre qui paraît aujourd’hui*, il décrit les relations troubles entre armée et terroristes. Un témoignage qui coïncide avec la nouvelle vague d’attentats qui frappe actuellement l’Algérie.
Pourquoi les Occidentaux sont-ils visés ?
Abdelkader Tigha : Les terroristes algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ont compris qu’il fallait médiatiser au maximum leurs attaques. De quelle manière ? En frappant les Occidentaux, comme avec la mort de l’ingénieur français. Malheureusement, d’autres vont mourir, c’est certain.
La France n’appelle pourtant pas ses ressortissants à quitter l’Algérie…
Il y a des intérêts économiques en jeu. Mais travailler à l’est d’Alger est aujourd’hui très risqué pour un ingénieur occidental. Je conseille aux Français se trouvant en particulier en Kabylie d’envisager un retour.
Le GSPC se dit proche d’Al-Qaïda. Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a pas d’Al-Qaïda en Algérie. Il s’agit des mêmes hommes qui ont alimenté la période noire dans les années 1990, sous le nom de GIA. Seule l’appellation a changé. Ils n’ont aucun lien avec Ben Laden, même s’ils ne souhaitent qu’une chose : faire de l’Algérie un Etat islamique. Et ils sont prêts à tout pour y arriver.
Les militaires sont-ils complices, comme vous l’affirmez ?
L’Algérie, qui a une grande expérience dans l’antiterrorisme, ne serait pas capable d’enrayer un mouvement concentré, aujourd’hui, dans une seule région ? Je n’y crois pas. En vérité, la terreur sert les généraux et légitime leur pouvoir. Lorsque j’étais sous-officier, on recueillait des informations précises sur des attaques, mais on n’avait pas l’ordre d’intervenir. Sur la mort des moines de Tibehirine, je mets clairement en cause la direction du contre-espionnage.
Le président Bouteflika a-t-il échoué dans sa lutte contre le terrorisme ?
Oui. Il a accepté la concorde civile, c’est-à-dire le pardon national aux terroristes. Ils sont libres et agissent de nouveau aujourd’hui. D’autres «émirs» s’affichent même dans les médias. Le président Bouteflika prend aujourd’hui clairement un virage intégriste. Son Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, nommé en mai 2006, est connu pour son conservatisme. Les procès récents contre les Algériens chrétiens en sont un autre exemple.
Quel rôle peut jouer la France ?
Elle doit lutter activement sur son territoire. Aujourd’hui encore, à Nanterre, Paris, Marseille ou Lyon, des intégristes sont actifs. Des sites écrits en arabe pullulent sur Internet. Ces activistes utilisent la France et d’autres pays européens comme plate-forme pour envoyer des armes.
* « Contre-espionnage algérien : notre guerre contre les islamistes », d’Abdelkader Tigha avec Philippe Lobjois. Nouveau Monde éditions.
Propos recueillis par Azzeddine Ahmed-Chaouch
jeudi 12 juin 2008 | Le Parisien